22/12/2011
LE CAS PARTICULIER DU MAROC
Le Printemps arabe pose un problème au Maroc, à son image extérieure mais également à la conception que ses décideurs se font de leur propre pays.
L’exception politique marocaine
L’image d’une exception marocaine au sein de son environnement arabe ne date pas d’hier,
il suffit de rappeler quelques pages des voyageurs européens du XIXe siècle : Charles de Foucauld, par exemple, souligne ce qu’il appelle la xénophobie, l’introversion du pays, sa sauvagerie, comparée à la relative ouverture des autres pays du Maghreb, déjà exposés à l’influence occidentale.
Durant les années Lyautey – 1907-1924 – un autre cliché se forma sous le premier, plus tenace, aux dimensions politiques insoupçonnées : le Maroc est une exception politique et historique; authentique et préservé du désenchantement de la modernité, royaume endormi que la France devait réveiller sans effaroucher.
Pays montagnard, libre et fier, au sein d’un monde arabe despotique et obscurantiste; pays monarchique entouré de républiques soviétiques et dictatoriales… Sur le métier à tisser de cette exception, les variations sont nombreuses autour de ce même motif : un Maroc positivement exceptionnel cerné d’un arrière-fond régional négatif.
La dernière variation sur ce thème date des années 1990 : le Maroc pays en voie de démocratisation dans un bloc arabe irrémédiablement autoritaire. Toujours l’exception bonne dans la catégorie négative. Telle est l’ironie des grands partages mentaux : les contenus peuvent changer, mais pas les frontières qu’ils établissent. Celles-ci se convertissent et se traduisent dans le langage du jour tout en restant les mêmes fondamentalement.
Pour le discours public marocain, il suffisait de pointer les défauts de nos voisins pour défendre le bilan intérieur. Dans un ensemble négatif, le Maroc était l’unique « plus ». Cela suffisait à lui donner une vocation politique : vitrine occidentale et démocratique de la région.
L’exception mise à mal par le Printemps arabe
A ce jeu de logique formelle, le Maroc sortait toujours gagnant aux yeux – les seuls qui comptaient, à vrai dire – des observateurs occidentaux. Or, depuis le début de 2011, un profond séisme a affecté le système. L’arrière-fond négatif est en feu. La démocratisation en cours fait pâlir les maigres acquis marocains. L’ensemble négatif clignote de signaux positifs et le « plus » marocain pâlit. La révolution, on ne la fait jamais seul, ou alors elle est intérieure, surréaliste, sans doute aussi dangereuse et nomade.
Aujourd’hui que toute une région flambe, le Maroc, par un retour de réel, se retrouve seul .
Le Printemps arabe pose un problème au Maroc, à son image extérieure mais également à la conception que ses décideurs se font de leur propre pays.
On était dans le sens de l’histoire tant que nos voisins étaient hors de course. On était l’exception, ils étaient la pathologie. Ils sont aujourd’hui l’exception. Que devient alors le Maroc ? Exception de l’exception ? C’est-à-dire l’immobilisme dans un environnement régional de nouveau sur les rails de la mondialisation historique ?
Une option s’offrit au Maroc suite aux événements tunisiens et égyptiens: jouer la course et la surenchère démocratique pour garder la distance – la nouvelle Constitution et les nombreux droits octroyés vont dans ce sens. Mais tôt ou tard, le discours public marocain sera appelé à se réformer et à répondre à cette question lancinante : comment concilier une démocratisation mondiale et notre singularité historique ?
Le : 17 octobre 2011
20:39 Écrit par OUTALHA dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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LE PRINTEMPS ARABE, UNE HISTOIRE INEDITE.
Il n’aura échappé à personne que l’histoire arabe moderne s’est faite sous l’égide de quelques idéologies antagonistes, domaines d’intérêt différents, acteurs variés, mais une même similitude: tous ces programmes se formulèrent comme répétitions de processus passés, et comme reprises d’étapes historiques avortées.
La modernité comme retour à l’histoire.
Au XIXe siècle, le terme Nahda fut choisi comme équivalent de la « renaissance » européenne. Ces prometteurs syro-libanais voulurent une histoire arabe qui calque l’histoire européenne, gage de réussite. Il y eut une antiquité brillante – gréco-romaine en Europe, omeyyade et abbasside en Orient – puis des invasions barbares et un long moyen-âge – germanique en Europe, turc en Orient – et enfin la renaissance humaniste qui fêtait les retrouvailles avec l’âge d’or.
Parallèlement, on parla d’Islah (rectification ou de réforme religieuse). Le parallélisme avec la réforme protestante, autre mouvement de la modernité européenne, est moins évident, et jamais explicitement invoqué. Mais le même motif de reprise de l’ouvrage historique inachevé le compose : un âge d’or (les califes bien guidés), une décadence (l’oubli de la religion vraie, corrompue par des innovations) et le retour à la pureté originelle. En soulignant les oppositions entre la Nahda laïque et l’Islah religieux, on omettait cette proximité de méthode, qui est essentielle.
Créer de l’avenir en l’habillant du passé, tant il est difficile d’assumer une nouveauté totale. L’imaginaire des révolutionnaires français était tout imprégné d’histoire grecque et latine. Plus tard, les Bolcheviks crurent répéter la révolution française, comme les Chinois crurent répéter celle russe. L’étonnant dans les révolutions arabes est qu’elles se fassent sans recours excessif à l’histoire, dans une région pourtant ô combien saturée, écrasée de référentiel historique.
Assumer la nouveauté politique
Le Printemps arabe ne répète aucun événement ou période connus, et il est difficile de trouver dans les différents régimes arabes classiques quelque chose qui rappelle les démocraties en construction à Tunis, au Caire ou ailleurs. Le fait est inédit et doit être souligné ; il bouleverse deux siècles de modernité politique, dont la théorie comme la pratique se faisaient sous le signe du « retour à… ». La polémique provoquée par l’évocation d’un nouveau califat, il y a quelques semaines, dit assez que de telles références, si elles pouvaient avoir leur impact limité dans des discours hystériques – celui de Ben Laden, par excellence – ne cadrent plus avec la confrontation à la réalité qu’entament aujourd’hui les peuples arabes. Cette absence d’histoire tient à l’usage qui en a été fait par les régimes dictatoriaux. Il tient aussi, plus positivement, d’une prise de conscience : la démocratisation arabe est un rattrapage, une « normalisation » attendue depuis longtemps, qui réconcilie cette région avec le reste du monde, plus qu’avec sa propre histoire.
Notons enfin que l’histoire noue des liens troubles avec les mentalités autoritaires : le culte des grands hommes, la commémoration du fracas des batailles, l’invocation incessante des grandeurs passées, tenaient une place centrale dans la formation des peuples voués à la dictature.
Si 2011 voit la fin de la pathologie et du soin apporté par l’Islah, de la parturition (la renaissance dans la Nahda, la résurrection dans le Baas), peut-être l’horizon intellectuel s’en trouvera-t-il libéré pour explorer d’autres voies. Cette déconstruction des mythes arabes est peut-être arrivée à maturité avec le printemps que nous vivons, et qui nous fait assumer la nouveauté de l’événement, sans la stèle historique, sans l’ombre du passé mort.
Le : 19 décembre 2011
20:38 Écrit par OUTALHA dans societe | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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