22/09/2012
Alors que la crise montre l’urgence de réétudier la régulation du capitalisme financier et le rôle de l’Etat : Comment repenser l’action de la social-démocratie en 2012
Comment repenser l’action de la social-démocratie en 2012, à l’heure de la mondialisation, de la dématérialisation et de la déterritorialisation du capital ? C’est tout l’enjeu de l’ouvrage collectif intitulé « Repenser l’action publique » et qui est fruit du travail d’une douzaine de chercheurs et de hauts fonctionnaires.
Proposer une rénovation de l’action publique afin de donner un sens à une nouvelle social-démocratie est plus crucial que jamais dans une période où les leviers d’action semblent de plus en plus rares, où l’action publique apparaît comme incapable de répondre aux attentes sociales d’une population en quête de solidarité nationale, où les Etats deviennent de plus en plus vulnérables face aux marchés et à leurs dérégulations.
Il apparaît donc légitime de repenser les outils dont peuvent disposer les acteurs publics, à la fois à l’échelle nationale, européenne et internationale, afin d’opérer une nouvelle synthèse entre intégration européenne et démocratie, entre développement à travers le monde et protection des salariés. Repenser ces outils est une condition nécessaire pour que la social-démocratie continue à jouer son rôle originel – celui de donner une expression politique et sociale aux revendications des populations en difficulté.
Repenser l’action publique signifie également prendre en compte les nouveaux défis écologiques, à l’heure où les prises de positions occidentales se heurtent à l’industrialisation des pays émergents. Une nouvelle action publique entraîne de ce fait un nouveau type de croissance, moins productiviste, plus durable. Une croissance qui ne serait pas une fin en soi, mais qui prendrait en compte l’ensemble des facteurs qui lui sont accolés : environnement, travail, étalement urbain, logement, etc.
Quels sont dès lors ces leviers de l’action publique ? Ils sont de plusieurs ordres : politique éducative, santé, politique de la ville, politique salariale, politique de sécurité, politique industrielle, politique entrepreneuriale… Autant de domaines au sein desquels une action ambitieuse et réfléchie peut influer de manière forte et durable sur l’avenir des populations, et réduire – voire effacer – le clivage actuel qui structure l’ensemble de la société : gagnants contre perdants, individualisme contre solidarité. En somme, autant de leviers déterminants pour une nouvelle définition du vivre-ensemble.
Leviers d’autant plus déterminants que le tableau de leur situation actuel est peu réjouissant, voire désastreux. Pour commencer, il devient urgent de repenser notre rapport au travail, érodé depuis maintenant trente ans par le capitalisme excessif. Les règles du jeu ont en effet changé depuis les années 1970 : baisse du pouvoir syndical et montée de l’individualisme, perte de repères identitaires et externalisation des tâches. Repenser le rapport au travail signifierait, dans un premier temps, transformer le rapport de forces établi entre direction et salariés, entre actionnaires et travailleurs. L’enjeu est de redonner une place réelle et légitime à l’ensemble des parties prenantes au sein de l’entreprise, et ce à tous les échelons décisionnels. Plusieurs initiatives sont intéressantes, comme le cas des sociétés coopératives et participatives (SCOP) qui s’appuient sur le principe « Une personne = une voix », et dont le nombre ne cesse de croître, car elles représentent une alternative viable aux plans de licenciements et aux délocalisations.
Les problématiques du malaise au travail, illustrées de façon dramatique à travers le cas de France Télécom, doivent, elles, entraîner une profonde refondation de la valeur travail. Le « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy s’est soldé par un échec, occultant la responsabilité sociale et sociétale de l’entreprise au profit du seul productivisme. L’individualisme et la concurrence entre salariés doivent laisser place à de nouvelles relations dans le monde du travail, à un regain de démocratie, afin de redonner du sens et des perspectives à l’ensemble des salariés. Les nouvelles réalités des carrières, hétérogènes et non linéaires (dans un contexte de chômage de masse) doivent bien sûr être prises en compte, notamment grâce à la formation continue des salariés, et ce tout au long de leur vie.
La politique éducative, qu’il s’agisse du primaire, du secondaire ou des études supérieures, est également un chantier des plus mal en point, alors qu’elle pourrait constituer un levier d’action des plus efficaces. En France, le tri entre les « gagnants » et les « perdants » est aujourd’hui de mise, et ce tout au long du système scolaire, qui repose sur un modèle élitiste empêchant toute concrétisation de la promesse républicaine de « méritocratie », pourtant prônée par Nicolas Sarkozy au début de son mandat. Les déterminismes sociaux n’ont jamais été aussi difficiles à surmonter, et toute possibilité d’ascension sociale, dont l’école est sans doute l’unique instrument pour les classes moyennes et populaires, est devenue petit à petit une illusion. En plus d’être l’un des moins efficaces des pays de l’OCDE, le système éducatif français est l’un des plus injustes socialement : il n’est plus capable de réduire les inégalités. La perte d’efficacité du modèle français fait que l’essentiel de l’éducation a lieu au sein de la famille, laissant sur le bas-côté les enfants les moins favorisés. En outre, le malaise ressenti au sein du corps enseignants est aussi problématique que légitime : accusés de tous les maux, ils voient leurs postes et leurs moyens se réduire comme peau de chagrin.
Penser un nouveau « vivre ensemble » commence donc par une action publique qui ferait de l’école une priorité, et ce dès le plus jeune âge. Repenser le modèle éducatif signifie lutter contre l’élitisme, le chacun pour soi, réaffirmer l’importance de la mixité sociale, redonner l’envie aux enseignants d’exercer leur métier, stopper les coupes budgétaires dont est victime l’Education nationale depuis 2004.
Plusieurs évolutions peuvent être proposées, comme la mise en place d’un socle commun de connaissances, l’introduction d’une « carte scolaire en étoile » à l’américaine, ou encore la mise en place de véritables dispositifs de « deuxième chance » pour ceux qui sortent du système scolaire en cours de route.
Il convient également de repenser l’enseignement supérieur: la formation initiale étant (sur)valorisée pour l’obtention du premier emploi, il est nécessaire de réaliser la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur, ainsi qu’une diversification des cursus proposés après le bac.
Il est également urgent de réduire le fossé (tant en termes financiers qu’en termes de contenu) existant entre grandes écoles et universités, fossé qui révèle une fracture sociale de plus en plus évidente – en témoignent le désintérêt croissant des étudiants envers l’université ainsi que les profils sociologiques respectifs des étudiants de ces deux entités. Il est, en outre, nécessaire d’investir massivement dans nos établissements de recherche et d’enseignement supérieur (qui souffrent d’un retard important au regard de la réalité internationale), et ce car nos choix d’avenir dépendent des efforts faits dans ces secteurs. Enfin, la frustration emmagasinée par les individus surdiplômés n’exerçant pas un emploi en adéquation avec la valeur de leurs formations (en atteste l’accroissement des personnes très diplômés occupant des postes de catégorie B dans la fonction publique) doit entraîner une réaction de la part des pouvoirs publics, notamment pour éviter une fuite massive de ces cerveaux vers l’étranger.
Repenser l’action publique entraîne également une remise en cause des politiques de croissance actuelles pour concevoir un autre type de développement. Il faut dorénavant penser les politiques de croissance sur le long terme, de manière durable, en distinguant clairement (à travers de nouveaux indicateurs autres que le PIB) une « bonne croissance » d’une « mauvaise croissance ». La nouvelle social-démocratie doit prendre en compte les changements sociétaux apparus à travers les différentes crises successives, ainsi que l’émergence de nouveaux besoins économiques et sociaux. Repenser nos politiques de croissance signifie inventer un équilibre nouveau entre croissance, productivité, emploi, lien social, environnement.
Ce nouveau modèle de développement devra s’inscrire dans un cadre européen (fort de la puissance financière de l’Union européenne), à travers des initiatives communes, des dispositifs fiscaux partagés, bien plus volontaristes qu’une simple harmonisation partielle de la TVA. La crise du capitalisme, souvent considérée comme systémique, doit servir d’impulsion à ce nouvel modèle de développement, à condition que cela se fasse de manière collective et coordonnée, et que la place des Etats et de l’action publique soit enfin remise au premier plan.
Adossée à ce nouveau modèle de développement, la politique industrielle française, souvent évoquée ces derniers temps, apparaît également comme un enjeu majeur. Elle ne peut évoluer sans favoriser l’innovation et la transformation, grâce au ciblage des aides publiques vers les PME-PMI, ainsi que vers le secteur de la recherche et développement (R&D), ce qui suppose de repenser entièrement le système actuel de Crédit Impôt Recherche. Il devient nécessaire de favoriser l’émergence d’entreprises innovantes dans de nouveaux domaines, afin de renouveler peu à peu nos élites industrielles. Les collectivités territoriales, principalement les régions, doivent devenir des acteurs de premier plan, notamment à travers le développement des pôles de compétitivité, qui doivent en outre encourager la localisation ou la relocalisation de certaines activités. Bien entendu, cette politique doit s’inscrire résolument dans le tournant écologique.
La nécessité de repenser l’action publique concerne le secteur de la santé au premier chef. La santé doit retrouver son rôle de ciment de la cohésion sociale, grâce à une action de proximité et à une forte décentralisation, tout en réaffirmant le rôle essentiel de l’hôpital public. La cohésion sociale, mise à mal par l’échec des politiques menées depuis 35 ans au sein des quartiers populaires, doit être repensée grâce à une action publique renforcée en faveur des territoires relégués. Cela passe par des efforts de péréquation accrus, notamment en Ile-de-France, où se conjuguent grande richesse et grande pauvreté.
La relance de la construction de logements, principalement sociaux (qui doit être faite en accord avec la transition écologique), est bien évidemment une nécessité impérieuse, permettant à la fois de lutter contre l’étalement urbain et de revaloriser l’identité locale et la cohésion sociale. Le logement doit être l’une des priorités sociales de l’action publique, étant devenu au fil des années la principale cause de surendettement des ménages.
Enfin, revaloriser le vivre ensemble et la cohésion sociale ne pourra se faire sans un renouveau des politiques de sécurité. La logique comptable instituée depuis 2007 a fragilisé les forces de l’ordre, creusant un fossé de plus en plus grand entre la police et la population. Une remise en cause de la RGPP et de ses effets négatifs, conjuguée aux dispositifs de police de proximité, doit remettre la police au service du citoyen, et non plus uniquement au service de l’Etat – et de sa communication...
Repenser l’action publique, c’est penser une nouvelle social-démocratie fidèle à son destin et prête à relever les nouveaux défis que lui offre le monde contemporain. En France, repenser l’action publique signifie sans aucun doute inventer un nouveau modèle social, pour renouer avec l’exemplarité qu’elle a longtemps incarnée dans les conquêtes pour la liberté. Faire que les déterminismes sociaux ne soient plus considérés comme une fatalité, réaffirmer l’importance de la mixité sociale, redonner du lien, de la dignité et de l’équité à l’ensemble de la société française, retrouver des marges de manœuvre pour notre croissance, autant de perspectives qu’une action publique ambitieuse et rénovée doit avoir en ligne de mire, pour garantir la cohésion de la société.
Paradoxalement, la crise peut être transformée en opportunité – à condition de savoir relever les défis qui s’offrent à nous.
21:03 Écrit par OUTALHA dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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Les vacances gratuites
Les départs en vacances masquent de profondes inégalités entre les groupes sociaux. Parmi les Marocains qui se mettent au vert, la plupart restent à la maison. Le stéréotype usé du vacancier résume bien mal les pratiques de vacances des nationaux. Pour les personnes défavorisées, le départ en hébergement marchand est difficilement accessible.
Les vacances d’été restent un rêve pour beaucoup de Marocains. Partir en vacances coûte cher, notamment lorsque l’on a des enfants à charge. De nombreuses raisons (santé, situation professionnelle, etc.) peuvent conduire à ne pas faire ses valises, mais la plus fréquente est le manque de moyens. Si une bonne proportion de cadres supérieurs part en congé, combien de fonctionnaires modestes, de petits commerçants, d’ouvriers ou d’agriculteurs bouclent leurs valises en cette période ? Peu, sans aucun doute. Les départs en vacances masquent de profondes inégalités entre les groupes sociaux. Parmi les Marocains qui se mettent au vert, la plupart restent à la maison.
Le stéréotype usé du vacancier résume bien mal les pratiques de vacances des nationaux. Pour les personnes défavorisées, le départ en hébergement marchand est difficilement accessible. Le prix moyen d’une journée vacances -hors transport- correspond à quatre, cinq fois la valeur du SMIG journalier. La contrainte de revenus est d’autant plus forte que les prix des prestations touristiques sont rarement très sages. La valse des étiquettes en période de budgets étriqués rebute plus d’un vacancier. Cette année, l’appel du large semble faiblir. Pas pour le contexte ramadanesque, la crise modère les ardeurs des postulants aux vacances. L’incertitude croissante sur les revenus futurs conduit une partie de la population à se restreindre dans les domaines où elle peut le plus facilement le faire.
Ces diverses considérations économiques (dépense, revenu, prix) constituent un des attraits des séjours en hébergement non marchand (chez des parents ou des amis). Selon quelques enquêtes, il représenterait plus des deux tiers des séjours touristiques des Marocains. Ces hébergements gratuits, notamment chez des parents, constituent pour certaines personnes la seule possibilité de «s’échapper du quotidien», faute de moyens. Au-delà de la dimension morale et affective essentielle que constituent les «retrouvailles», ce type d’hébergement financièrement économe a aussi incontestablement une dimension économique. Ces hébergements occasionnels «intergénérationnels» sont à la fois des échanges descendants (petits-enfants partant en vacances chez ou avec les grands-parents), des échanges ascendants (personnes âgées en visite chez leurs enfants ou partant en vacances avec eux) et des échanges collatéraux souvent réciprocitaires. Si le motif du séjour chez des proches peut être volontairement recherché pour sa sociabilité, il n’en reste pas moins qu’il est en partie motivé par la recherche de solutions d’hébergement économes et résulte de contraintes budgétaires.
Mais si l’hébergement est gratuit, le simple coût du transport est parfois rédhibitoire. Toute forme de vacances, y compris chez des parents ou des amis, occasionne un surcoût pour le partant et pour la famille d’accueil. Même si certaines dépenses de vacances (notamment alimentaires) se substituent à des dépenses habituelles, le coût d’une journée de vacances est toujours plus élevé que celui d’une journée chez soi. Aussi, les solidarités familiales ne peuvent à elles seules compenser les difficultés économiques des ménages à partir en vacances, plus particulièrement dans un contexte de crise.
La politique publique devrait accorder à la question des vacances des défavorisés un certain intérêt. L’Etat a préféré solvabiliser la demande, par l’aide à la promotion de produits touristiques. Ces produits ne sont pas à la portée des bourses modestes. Certes, les établissements publics mettent leurs clubs et villages de vacances à disposition des employés et organisent des colonies de vacances pour leurs enfants. Ces infrastructures profitent presque exclusivement aux salariés des grandes entreprises publiques et de la fonction publique. En réalité, le développement du tourisme social est coincé entre manque d’incitation et offre parfois mal adaptée. Pourquoi ne pas étendre l’offre de ce segment de loisirs en encourageant la diffusion des instruments comme les chèques vacances ? Ces instruments seraient distribués par des employeurs ou des comités d’entreprise ou d’œuvres sociales (qui prendraient en charge une partie du coût) aux salariés selon leurs facultés contributives. Pourquoi les collectivités locales n’investiraient-elles pas dans des centres de vacances pour les jeunes, dont le coût serait proportionnel aux revenus des familles ou n’aideraient-elles pas le secteur associatif à s’impliquer dans ces prestations ?
Les vacances sont un moyen de socialisation et un vecteur d’intégration sociale. Les inégalités devant les départs en vacances ne sont pas seulement des inégalités de consommation. Ce sont aussi des inégalités en termes de droits sociaux et de développement de la personnalité. Ce droit pour tous les citoyens commence dès l’enfance. Ne pas partir c’est aussi ne pas profiter d’un «élargissement de l’horizon mental», et source de frustrations. Le capital «vacancier» n’est-il pas considéré de nos jours comme un élément du capital social, culturel, cognitif et symbolique ?
20:15 Écrit par OUTALHA dans societe | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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