27/09/2012
POUR UNE CULTURE ACCESSIBLE ET DES MEDIAS TRANSPARENTS
Cent jours après l’élection de François Hollande, le think-tank «Cartes sur table» diffusait cent propositions.
Le débat citoyen qui a suivi a permis de détailler et d’enrichir celles qui ont le plus retenu l’attention.
La Fondation Jean-Jaurès, haut lieu de la rénovation de la pensée socialiste en France, en a publié récemment quatre, sur le thème de la culture et des médias.
Le 13 août 2012, « Cartes sur table » a publié, sous un format inédit de moins de 140 signes chacune, cent propositions.
Ces cent propositions n’avaient pour objectif ni de critiquer les actions déjà conduites, ni de faire entendre une voix supplémentaire dans les grands débats philosophico-politiques du moment, mais d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur cent mesures concrètes pouvant contribuer à améliorer la vie quotidienne de la population française et la situation du pays. Il s’agissait également de susciter le débat avec les citoyens.
Ce dernier objectif a été pleinement atteint. Nombreux sont ceux qui nous ont pris la peine de réagir sur les idées proposées, en soutenir certaines, en critiquer d’autres, souligner des manques et apporter des compléments.
Ce débat citoyen né des cent propositions a donné l’envie à « Cartes sur table » d’aller plus loin en publiant, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, une version détaillée et enrichie des propositions qui ont le plus retenu l’attention et rencontré l’adhésion.
Le premier de ces feuillets regroupe quatre propositions pour une culture accessible et des médias transparents :
1. Offrir de l’espace public à l’art ;
2. Investir dans les jeunes artistes ;
3. Attribuer une « allocation culture » à chaque élève ;
4. Renforcer le devoir de transparence qui s’impose aux médias.
Quatre propositions qui apportent des solutions concrètes à des questions simples.
Comment faire en sorte que l’art et le public se rencontrent quotidiennement ?
Comment offrir une visibilité nationale aux artistes dont la réputation reste à construire et soutenir ainsi les créateurs de demain ? Comment garantir que chaque enfant et chaque adolescent puisse aller au moins deux fois au cinéma ou au théâtre dans l’année tout en s’achetant quelques disques ? Comment contribuer à renouer les liens entre lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et médias « traditionnels » ?
Offrir de l’espace public à l’art
Comment faire en sorte que l’art et le public se rencontrent quotidiennement ?
En offrant de l’espace public à l’art.
Chaque exposition, chaque rencontre avec le public est un véritable accélérateur pour la carrière d’un artiste : elle lui permet de prendre conscience très rapidement de ses qualités ou de se confronter à ses limites. Or, s’il est particulièrement difficile pour les artistes d’accéder à une notoriété suffisante pour pouvoir vivre de leur talent (il leur faut très souvent patienter de longues années et exercer pendant ce temps une activité annexe), il leur est également peu aisé de trouver des lieux réguliers de rencontre avec le public.
Parallèlement, de nombreux établissements publics ont occasionnellement, pour répondre à des besoins variés (cours de peinture organisés par les mairies, lectures en bibliothèques, expositions dans les écoles, etc.), recours à des artistes qu’ils découvrent grâce au réseau de connaissance de leurs employés ou par le fruit du hasard. La rémunération des prestations peut se révéler complexe pour ces établissements qui doivent choisir entre paiement de droits d’auteurs, paiement d’une prestation confiée à un auto-entrepreneur, ou – cas très rare – versement d’un salaire.
Réserver dans les édifices publics tels que les mairies, les bibliothèques municipales ou les écoles des espaces à des expositions d’œuvres d’art en contrepartie de la participation de leurs auteurs à des animations, des formations ou des cours gratuits, permettrait d’offrir aux artistes des lieux de rencontre quotidienne avec le public. Cela serait également l’occasion pour les acteurs publics d’élargir leurs contacts avec le monde artistique.
Les objectifs et contraintes artistiques du partenariat pourraient être indiqués dans une charte. Celle-ci permettrait d’une part de garantir l’adéquation des œuvres exposées avec le public amené à les observer et, d’autre part, de s’assurer que les artistes n’utilisent pas l’espace mis à disposition à des fins commerciales.
Les résidences d’artistes pourraient se voir confier la mise en contact des artistes et des établissements publics. L’Etat leur donne en effet déjà pour objectif d’« accompagner des artistes dans le développement de leur activité » et « de contribuer à offrir au public une diversité de propositions artistiques ou critiques ».
Le coût d’une telle mesure serait quasiment nul pour la puissance publique. Les établissements publics offrant de l’espace aux artistes auraient certes à prévoir puis à maintenir des installations assurant la mise en valeur et la sécurisation des œuvres, mais ces frais pourraient être couverts par le budget consacré aux rémunérations occasionnelles d’artistes.
Cette mesure offrirait enfin au public de ces établissements l’occasion d’une rencontre quotidienne avec l’art sous toutes ses formes.
Investir dans les jeunes artistes
Comment offrir une visibilité nationale aux artistes dont la réputation reste à construire et soutenir ainsi les créateurs de demain ? En investissant dans les jeunes artistes.
Deux mesures simples permettraient d’améliorer les conditions de vente et d’achat des œuvres d’art dans le domaine privé tout en promouvant des artistes dont la réputation est à établir : d’une part la création d’une plateforme offrant une visibilité nationale à tous les jeunes artistes et, d’autre part, la mise en place d’un système d’incitation fiscale à l’achat d’œuvres de jeunes artistes.
Si le mécénat d’entreprise est un système qui finance efficacement les artistes, les entreprises choisissent en effet trop souvent de s’adresser à des artistes déjà reconnus sans avoir de visibilité complète sur l’offre artistique qui leur est ouverte.
Les jeunes artistes, dont la réputation est à faire, en pâtissent plus que d’autres.
La création d’une plateforme nationale gérée par l’Etat et recensant les jeunes artistes de façon évolutive et exhaustive augmenterait leur visibilité. Cette plateforme pourrait être mise en place en coopération avec les établissements de formation artistique et les instances représentatives des artistes professionnels, et son contenu diffusé de manière active auprès des mécènes potentiels.
Parallèlement, pour raviver le lien entre artistes et citoyens, un système d’incitation fiscale à l’achat d’œuvres de jeunes artistes ou encore à la découverte de jeunes troupes pourrait être instauré. Cela permettrait un rapport plus personnel à l’objet culturel que les mesures de mécénat des particuliers déjà existantes – notamment la loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations – qui ne concernent que le don et non l’achat. Grâce au partenariat ainsi organisé entre publics et artistes, le début de carrière de ces derniers se trouverait facilité, les citoyens se verraient placés dans un rôle valorisant et l’Etat tirerait profit de l’activité économique qui en résulterait.
Ces deux mesures ne coûteraient pas à l’Etat plus de trois millions d’euros – un million d’euros pour la mise en place et l’administration de la plateforme et de 1,5 à deux millions d’euros pour le système d’incitation fiscale (soit un crédit d’impôt de 10 % pour des dépenses d’achat d’œuvre ou de soutien à un projet d’un montant de 500 euros qui bénéficieraient, six à huit fois par an, à 5.000 jeunes artistes différents) –, c’est-à-dire moins de 1 % du budget qui est consacré à la restauration et à l’entretien des monuments historiques.
A terme, le public pourrait se voir proposer sur la plateforme recensant l’ensemble des jeunes artistes de financer directement certains d’entre eux, en s’inspirant de ce qui se fait aujourd’hui sur certaines plateformes internet privées, mais dans le cadre de « plans d’épargne artistique » soutenus et portés par la puissance publique.
Attribuer une allocation «culture» à chaque élève
Comment s’assurer que chaque enfant et chaque adolescent puisse aller au moins deux fois au cinéma ou au théâtre dans l’année tout en s’achetant quelques disques ? En attribuant une allocation « culture » à chaque élève.
Il existe déjà au niveau des collectivités locales de nombreuses initiatives destinées à encourager la consommation culturelle des jeunes, sous forme de cartes, de chèques, etc. Le caractère local de ces initiatives garantit que les acteurs impliqués dans leur élaboration et leur mise en œuvre se connaissent et proposent des offres en prise avec le quotidien et les besoins des citoyens.
Ces initiatives locales sont toutefois caractérisées par leur disparité. Certaines parties du pays sont beaucoup plus favorisées que d’autres et on observe peu de synergies entre les différentes collectivités impliquées. Ainsi, si ces initiatives favorisent la consommation culturelle des plus jeunes et contribuent à la réduction des inégalités sociales dans ce domaine, il n’en demeure pas moins aujourd’hui en France des inégalités territoriales fortes pour l’accès à la culture des jeunes.
Le versement par l’Etat aux écoliers, collégiens et lycéens, d’une allocation « culture » annuelle, cumulable avec d’autres subventions et distincte de l’allocation de rentrée scolaire, contribuerait à la réduction des inégalités d’accès à la culture. Chaque élève pourrait en bénéficier pendant la durée de la scolarité obligatoire pour financer sa consommation de biens culturels, qu’il s’agisse d’expositions, de séances de cinéma, de spectacles musicaux ou théâtraux, ou encore d’achats de vidéos ou de musique.
Le coût de cette allocation « culture », si son montant était fixé à cinquante euros par an – ce qui permettrait à chaque jeune d’accéder au moins une fois par trimestre à un bien culturel –, serait de 600 millions d’euros pour l’Etat, c’est-à-dire l’équivalent de moins de 1 % du budget 2012 de l’Education nationale.
L’impact éducatif d’une telle allocation doit être souligné.
Pour la mise en œuvre de cette allocation « culture », il conviendrait de s’inspirer des programmes déjà existants et de promouvoir le développement de partenariats avec et entre les collectivités. La création d’un label national pourrait par ailleurs inciter les collectivités n’offrant pas à l’heure actuelle de tels programmes à en mettre en place.
L’allocation « culture » aurait enfin un rôle pédagogique, d’où son caractère universel: consommateur autonome d’une allocation financée par l’argent public, chaque jeune prendrait conscience, en tant que citoyen, de son droit d’accès à la culture et du contrat implicite liant les citoyens à la collectivité.
Renforcer le devoir de transparence qui s’impose aux médias
Alors que la presse écrite vit des jours difficiles et que les grandes messes des 20-heures peinent à retenir les téléspectateurs, comment contribuer à renouer les liens entre lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et médias « traditionnels » ? En renforçant le devoir de transparence qui s’impose aux médias.
Les médias, qu’ils soient écrits ou audiovisuels, ont une responsabilité sociale particulière en tant que créateurs et diffuseurs de contenus. Ils impriment, pour reprendre les termes du supplément média des Lignes directrices Développement durable du Global Reporting Initiative, les esprits de leur public et doivent par conséquent garantir la pertinence et la crédibilité de leur contenu et accepter d’en rendre compte.
Or, alors même que la plupart des médias fait aujourd’hui partie – simple constat objectif – de grands groupes qui ont des intérêts économiques variés, tous ne respectent pas, loin de là, le devoir implicite de transparence que leur impose cette responsabilité sociale particulière et qui exige la plus grande clarté sur de potentiels conflits d’intérêt.
Afin que les groupes de médias et l’ensemble de leurs intervenants externes ou internes fassent systématiquement apparaître les activités extérieures qu’ils mènent ou dont ils dépendent directement, un devoir de transparence pourrait être formalisé à travers l’établissement de règles de déclaration contraignantes s’imposant aux médias publics comme privés.
La démarche adoptée par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) – mise en place d’une charte déontologique exigeant de chaque collaborateur qu’il révèle ses conflits d’intérêt –, après la parution début 2012 d’une enquête dénonçant des collusions entre experts et institutions financières privées, pourrait servir d’exemple pour la formalisation de ce devoir de transparence.
Certes, internet apparaît aujourd’hui comme un instrument formidable pour assurer la révélation quasiment instantanée de l’existence de conflits d’intérêt ou de relations posant problème. Mais, afin de renouer les liens avec un public légitimement prudent, ce sont les médias eux-mêmes qui doivent devenir les garants actifs de leur transparence. Au-delà des règles déontologiques, on pourrait d’ailleurs imaginer qu’un temps d’antenne d’une dizaine de minutes soit réservé chaque semaine sur l’une des chaînes publiques – et en simultané sur l’une des radios publiques –, avant le journal télévisé de 20-heures, à un médiateur des médias qui serait directement saisi par les téléspectateurs.
Comment faire en sorte que l’art et le public se rencontrent quotidiennement ?
Offrir une visibilité nationale aux artistes dont la réputation reste à faire et soutenir ainsi les créateurs de demain ? Garantir que chaque enfant et chaque adolescent puissent aller au moins deux fois au cinéma ou au théâtre dans l’année tout en s’achetant quelques disques ? Contribuer à renouer les liens entre lecteurs, auditeurs, téléspectateurs et médias « traditionnels » ?
« Cartes sur table » apporte ainsi des solutions concrètes à ces questions simples.
18:48 Écrit par OUTALHA dans Loisirs et Culture | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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VOUS AVEZ DIT JOURNEE MONDIALE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ?
Les journées nationales et internationales dédiées à des problèmes de société rythment désormais nos mois, leur profusion nous perdant parfois, ou pire, nous détournant paradoxalement de la cause qu’elles sont censées défendre.
Ainsi, si l’on vous dit le 25 novembre, à quoi pensez-vous? Cela vous dit-il vaguement quelque chose ou… absolument rien ? Il s’agit pourtant d’une date clé dans la lutte pour l’égalité des sexes et la préservation du droit des femmes, car oui Mesdames (et Messieurs), le 25 novembre est la Journée internationale contre les violences faites aux femmes, et ce, depuis 1999.
Créée par l’ONU il y a plus de dix ans, cette date a le mérite d’alerter la communauté internationale sur un fléau qui touche tous les pays, y compris nos pays occidentaux. Il est clair que le débat public, en France, a considérablement évolué sur la question, notamment durant les années 2000 avec l’élaboration d’une enquête exhaustive (la fameuse enquête, des plans d’actions contre ces violences, la mise en place d’un numéro spécial (le 3919), et aujourd’hui la nouvelle loi sur le harcèlement sexuel qui en donne une nouvelle définition dans le code pénal et élargit la portée de ce dernier.
Néanmoins, si la journée du 25 novembre est l’occasion pour les associations et les médias de faire le point sur la persistance des violences faites aux femmes, il faut bien avouer que nous sommes nombreuses, et nombreux, à oublier que cette réalité est bien plus ancrée dans nos sociétés qu’il n’y paraît (je ne mentionnerai pas non plus le fait que ce sujet demeure peu abordé dans la sphère publique le reste de l’année…).
Certes, en une décennie, le regard sur ce sujet a bien changé. Les langues semblent s’être déliées… en théorie seulement. Car derrière l’apparente avancée de l’égalité des sexes, trop de femmes souffrent encore d’un machisme intégré socialement, qui peut parfois conduire à l’irréparable.
Dès lors, comment expliquer le fait que ces violences perdurent malgré tout et ne diminuent pas ?
Surtout, pourquoi le sujet demeure-t-il encore tabou dans la sphère privée ?
Cet article tente d’interroger, à travers le prisme d’enquêtes et de thèses développées par les spécialistes, ces violences et la façon dont elles sont appréhendées par les hommes, comme par les femmes, afin de relancer un débat qui est loin d’être terminé.
Des violences qu’on a parfois du mal à qualifier comme telles
Il n’est pas rare de se fourvoyer sur le sens même du mot violence, souvent interprété uniquement comme un acte physique. Ceci conduit à minorer certains comportements, sans voir le caractère violent qu’ils revêtent, la femme qui en est l’objet s’enfermant souvent dans un cercle vicieux : le silence et l’acceptation d’un acte qui devient banal voire normal. Or, comme le rappellent les Instituts de victimologie, les violences faites aux femmes renvoient à plusieurs réalités, qui elles-mêmes se manifestent de multiples façons.
Elles peuvent ainsi être : conjugales, familiales, communautaires ou encore collectives (sans oublier les violences auto-infligées tels que les comportements suicidaires, les automutilations etc., qui sont souvent la réponse à une pression sociale ou familiale).
Les violences conjugales correspondent ainsi à des violences perpétuées dans le couple. Celles-ci ne sont pas forcément physiques (coups, brutalité, contraintes physiques) comme le note pertinemment la Fédération nationale de solidarité femmes, mais peuvent également être verbales (intimidations, injures, menaces, sarcasmes), psychologiques (propos méprisants et humiliants répétés, qui enferment la victime dans un sentiment d’infériorité et d’incompétence), économiques (allocations dépensées au jeu ou au bar, revenus déposés sur un compte dont seul le conjoint détient signature, etc.), ou encore sexuelles (viols, agressions sexuelles ou rapports acceptés sous la contrainte).
On peut tout à fait retrouver ces types de manifestations au sein de la famille (comme le rappelle l’Insee concernant les viols, l’agresseur est souvent un proche de la victime, d’une communauté (mariage forcé, excision) ou dans la sphère publique (harcèlement au travail, harcèlement de rue).
Dès lors, on se rend compte de l’étendue du phénomène qui peut renvoyer à des réalités très différentes, réalités qui nous concernent tous.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon Solidarité Femmes, 2,5 millions de femmes seraient victimes de violences conjugales en 2012 (en 2007, 157 femmes et 27 hommes seraient décédés des suites de violences de ce type d’après une enquête au Sénat) ; selon l’Insee 16,7% de femmes subiraient des pressions psychologiques au travail de la part de collègues masculins ; et chaque année entre 75.000 et 120.000 femmes seraient victimes de viol d’après les sources du CFCV (Collectif féministe contre le viol).
C’est pourquoi, les femmes victimes, comme leur entourage, doivent parvenir à briser le silence qu’instaurent ces violences, ou ne serait-ce que parvenir à prendre conscience de la gravité d’une situation qui les met en danger: des actes tels que le harcèlement, dans quel que contexte que ce soit (conjugal, familial, communautaire ou collectif), n’ont aucune légitimité et peuvent conduire, s’ils sont répétés, à des séquelles lourdes telles que la dépression, voire irréversibles comme le suicide. C’est notamment ce constat qui avait motivé la psychanalyste Marie-France Hirigoyen dans son livre Le harcèlement moral : c’est en travaillant sur la dépression et le suicide que l’auteure avait pu prendre conscience de l’impact des agressions psychologiques et ainsi alerter sur la nécessité de les dénoncer.
Pour autant, est-il
réellement possible de «briser le silence»?
Si les quelques chiffres cités précédemment sont éclairants quant à l’urgence que revêt la question des violences faites aux femmes, il va de soi qu’il faut y ajouter l’ensemble des femmes victimes n’ayant pas témoigné.
A ce stade de l’analyse, je ferais toutefois une distinction : tout d’abord, les cas où la victime est consciente qu’elle subit des actes de violences mais n’osent pas dénoncer son agresseur. L’Insee estime ainsi que les plaintes déposées à la police ne représentent que 12% des victimes de violences physiques, et 8% seulement des victimes de violences sexuelles, soit environ une femme sur dix. On comprend aisément les causes d’un tel silence : la peur, la contrainte, le chantage (familial, économique ou social), l’espoir d’un changement de comportement (dans le cadre familial par exemple). En effet, ces violences renvoient à des sentiments de honte (pour la femme violée ou abusée sexuellement par exemple), de culpabilité (face aux injures et aux intimidations de leur conjoint, certaines femmes se sentent coupables de la mauvaise entente de leur couple), de fatalité voire de normalité (pour les pratiques communautaires par exemple). Mais elles génèrent surtout des peurs qui contraignent au silence : la peur de la récidive et des représailles si la victime le brise, ou encore la peur d’être jugée par l’entourage et plus largement par la société. Ainsi, ce qui se passe dans la sphère privée, dans un couple par exemple, est souvent difficile à exprimer : quels seront les regards des proches? Leurs jugements? Leurs préjugés?
Il est cependant un autre cas, qu’on évoque moins souvent dans les médias, mais qui n’en est pas moins grave : celui où la personne n’est pas consciente d’être victime de violences, parce qu’elle a intégré, par sa culture ou plus globalement par son processus de socialisation, une position sociale inégalitaire vis-à-vis de son homologue masculin (le père, l’époux, le supérieur hiérarchique par exemple). Cette inégalité correspond à ce que l’ethnologue et sociologue Françoise Héritier qualifie de valence différentielle des sexes. Bien plus qu’une domination masculine, terminologie préférée par Pierre Bourdieu, l’idée de valence différentielle renvoie à une intégration et une reproduction inconsciente du rapport de domination masculine au sein de la société, qui commence dès la naissance, au sein du noyau familial. En effet, selon Françoise Héritier : «On ne trouve aucun système de parenté qui, dans sa logique interne, dans le détail de ses règles d’engendrement, de ses dérivations, aboutirait à ce qu’on puisse établir qu’un rapport qui va des femmes aux hommes, des sœurs aux frères, serait traduisible dans un rapport où les femmes seraient aînées et où elles appartiendraient à la génération supérieure».
L’on peut se poser cette question de la domination notamment sur les violences dites «psychologiques» : jusqu’où une femme peut-elle accepter les insultes, les sarcasmes, les sous-entendus rabaissant d’un homme?
Comme l’explique la sociologue-démographe Maryse Jaspart (Les violences faites aux femmes, La découverte, 2005), bien que les ménages partagent aujourd’hui généralement une conception égalitaire et complémentaire des rôles, certaines dérives discriminantes persistent. Selon l’auteure, les violences faites aux femmes puisent dans l’imaginaire de la société patriarcale, qui assigne des fonctions et des positions sociales inégalitaires selon le sexe. Aujourd’hui, la marche vers l’égalité homme-femme se heurte à cette vision, et finalement à des enjeux de pouvoir et de domination de l’un sur l’autre.
Ce rapport de force est donc purement culturel, au sens de non naturel. D’ailleurs, comme le note la sociologue Michèle Ferrand (Féminin, masculin, La découverte, 2004), des actes tels que le harcèlement sexuel n’ont rien à voir avec des pulsions biologiques propres aux hommes (naturelles donc), mais elles sont une conséquence de la construction culturelle des inégalités hommes-femmes.
Or l’enjeu de ce silence « inconscient » est de taille : comprendre que les violences faites aux femmes englobent des situations que l’on considère comme « banales », « normales », « naturelles », c’est prendre conscience de l’importance du phénomène et du fait qu’il ne faiblit pas. Un tel pas n’est pas toujours franchi, et il n’est pas rare d’entendre des discours lassés par les débats sur la question, certain(e)s ne se sentant pas forcément concerné(e)s.
Ce silence vient ainsi conforter les violences et donner de la légitimité à un rapport de force qui n’en a pourtant aucune.
Ainsi assujettie, la femme en perd son intégrité et l’estime d’elle-même. Plus largement, et quoi qu’on en dise, si l’égalité des sexes existe en droit, elle est loin d’exister en fait. Le droit des femmes a certes constamment progressé. Mais les mentalités, modelées par des acquis sociaux où les rapports entre les sexes demeurent déséquilibrés, n’ont pas suivi cette évolution.
Un sentiment diffus de «ringardisation» du féminisme ?
Ceci nous amène finalement à nous demander si la question des violences faites aux femmes ne renvoie pas inconsciemment à un idéal féministe, et de fait, à l’épineux problème de l’appréhension que la société se fait du féminisme lui-même. Las de la question du droit des femmes (de la part d’hommes comme de femmes) souvent considéré à tort comme un acquis, certains finissent pas s’en détourner, oubliant que le chemin vers une pleine égalité est loin d’être terminé.
Non, la question des violences faites aux femmes ne doit pas être reléguée à une fatalité, ni une normalité. Non, le harcèlement, qu’il soit sexuel ou moral, n’a rien à voir avec le caractère intrinsèque de l’homme : il n’est qu’une conséquence d’une construction culturelle qui pèse depuis des siècles sur l’émancipation féminine. Non, le viol ne doit pas se réduire aux quelques cas évoqués dans les pages des faits divers car encore trop de femmes en sont les victimes, le plus souvent par leur propre entourage, donc des personnes en qui elles ont une confiance totale. Non, certaines pratiques culturelles ne sont pas légitimes dans la mesure où elles contreviennent à l’intégrité physique et morale de la femme. Car la préservation de l’intégrité de l’individu, homme comme femme, est un droit universel.
Le combat contre les violences pratiquées envers les femmes est donc loin d’être terminé. S’il revient à tout un chacun d’en prendre conscience, c’est aussi aux femmes que je m’adresse ici, et j’espère qu’elles m’entendront : ces violences, quelle que soit leur forme, ne doivent pas demeurer impunies. En prendre conscience et parvenir à les dénoncer, c’est redonner à la femme la place qui est la sienne. Une place d’égale à égal, loin des préjugés sociaux et culturels.
Le 25 novembre prochain aura certes le mérite de nous rappeler ces faits. Pour autant, il ne suffira pas à les éradiquer. Au-delà de ce constat, nous devons renouveler le regard que nous portons sur la femme, et ainsi interroger nos comportements. Ce n’est que lorsque nous aurons franchi cette étape que nous pourrons enfin faire avancer la lutte contre les violences faites aux femmes, et au-delà, la cause féminine elle-même.
18:45 Écrit par OUTALHA dans societe | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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