27/09/2012
L'EURO DEFINITIVEMENT DANS L'IMPASSE?
Aujourd’hui, face à l’impasse dans laquelle se trouve la zone euro, il est de bon ton de dire que la seule solution est une plus grande intégration. Même The Economist le soutient. Pourtant, un examen de cette voie en révèle l’impasse totale, autant économique que politique.
Un problème de balance de paiements
Devant la difficulté des pays en déficits à financer leurs dettes, on évoque l’augmentation des moyens du MES ou la mise en place d’euros obligations. Pourtant, presque tout le monde oublie qu’il y aurait un moyen très simple de financer les déficits, à savoir la monétisation partielle des dettes publiques par la Banque Centrale (la Grande-Bretagne le fait à hauteur de 5% du PIB depuis trois ans), mais cela imposerait de revenir sur l’indépendance de la BCE, vache sacrée en Allemagne.
Qui plus est, on voit bien que tous les plans européens mis en place ne marchent pas. S’ils fournissent des liquidités aux pays « aidés », ils y accentuent la crise économique au lieu de la résoudre. Les coupes sombres dans les dépenses publiques affaiblissent des économies déjà anémiées par des déficits extérieurs importants. Du coup, la récession induite balaye une bonne partie des efforts réalisés, en imposant des coupes qui accentuent le cercle vicieux, comme en Grèce.
En fait, ce sont les créanciers qui sont les bénéficiaires de ces plans, qui leur garantissent (à part en Grèce) le remboursement de créances sur lesquelles les Etats auraient fait défaut sans ces aides. Problème, si ces plans règlent les problèmes de trésorerie des Etats, ils ne règlent en aucun cas leurs problèmes de capacité productive. Ce dont la Grèce et l’Espagne ont besoin aujourd’hui, c’est de rééquilibrer leur commerce extérieur et de produire davantage pour réduire le chômage.
Or, si les baisses de salaire devraient à terme améliorer la compétitivité de ces pays, elles provoquent dans un premier temps un effondrement économique et social. Comme l’a souligné Patrick Artus, il serait beaucoup plus simple de dévaluer. Mais cela imposerait à ces pays de sortir de la monnaie unique, ce que les dirigeants européens souhaitent éviter tant ils ont investi de capital politique dans son soutien. La Grèce irait bien mieux aujourd’hui si elle avait quitté l’euro en 2010.
Un coût astronomique
Pourtant, l’énormité des sommes en jeu devrait faire réfléchir. Les dirigeants européens ont utilisé pas moins de 400 milliards d’euros pour maintenir la Grèce dans l’euro (deux fois son PIB !), entre le FESF et les aides de la BCE. Et cette débauche de moyens n’a rien réglé, ne faisant qu’augmenter la facture d’une sortie ultérieure. Pire, aujourd’hui, des pays bien plus importants sont au bord de l’asphyxie. La débauche d’argent semble aggraver les problèmes plus que les résoudre.
On peut comprendre alors que les Allemands refusent absolument les euros obligations (par 79% contre 14%). Le système imaginé par l’institut Bruegel revenait à demander à Berlin une caution solidaire de 4000 milliards d’euros, soit 150% du PIB du pays. Soit dit en passant, pour la France, cela représenterait 200% de notre PIB. On s’étonne de la facilité de certains dirigeants à accepter des engagements encore plus astronomiques que ceux donnés pour le MES !
Qui plus est, l’exemple de la Tchécoslovaquie invite à beaucoup de prudence. En effet, quand la République Tchèque et la Slovaquie se sont séparées, les deux nouveaux Etats pensaient conserver la même monnaie. Mais très rapidement, ils ont constaté qu’ils avaient besoin d’une politique monétaire différente car sept décennies d’histoire commune n’avait pas fait de ce petit Etat une Zone Monétaire Optimale. Alors, cela semble totalement illusoire à l’échelle de la zone euro.
Si une évolution de type fédéral peut repousser l’échéance de la fin de l’euro, en revanche, elle ne résoud rien aux véritables problèmes de l’Europe. Pire, comme on le voit en Grèce, elle augmente le montant des créances, créé une organisation absolument ingérable et ne résoud aucun des déséquilibres.
Le fait d’avoir une seule monnaie a tendance à faire diverger les économies au lieu de les faire converger.
Après avoir étudié en quoi la monnaie unique européenne n’a pas tenu ses promesses et qu’elle est surtout un moyen de contraindre les européens à accepter une Europe fédérale, il faut étudier pourquoi cette monnaie unique ne marche pas, comme l’annonçaient beaucoup d’économistes il y a 20 ans.
Pourquoi la zone euro ne peut pas marcher
Pour être honnête, le mythe de l’euro peut être séduisant : des pays qui se faisaient la guerre unissent leurs monnaies, pour la paix, pour leur prospérité et pour davantage peser dans un monde dont les équilibres changent. Tout d’abord, on peut douter que la monnaie soit un facteur de paix. Ensuite, il faut bien constater que question prospérité, la zone euro va mal. Certes, les Etats y sont endettés, mais pas plus qu’ailleurs, ce qui démontre qu’il y a un problème spécifique.
Et ce problème spécifique, c’est justement le fait d’avoir une monnaie unique pour des pays différents. En théorie économique, on dit qu’une monnaie doit correspondre à une Zone Monétaire Optimale selon les théories de Robert Mundell. Il y a trois critères majeurs : l’existence d’un budget commun important, la mobilité des travailleurs et l’homogénéité économique. Ces trois critères existent à l’échelle de la France ou des Etats-Unis ou de tous les autres Etats-nations.
En revanche, par un seul n’est vérifié à l’échelle de la zone euro. Le budget commun est faible, les travailleurs sont 90% moins mobiles qu’à l’échelle des Etats-Unis selon une étude rapportée par The Economist et il n’y a pas d’homogénéité économique dans un espace aussi divers, que ce soit au niveau des Smic (qui varient de un à cinq) ou des acteurs économiques, qui restent très nationaux. Bref, ce n’est pas pour rien que les monnaies sont nationales en général.
Pire, comme l’explique Paul Krugman, le fait d’avoir une seule monnaie a tendance à faire diverger les économies au lieu de les faire converger. Paradoxalement, il serait plus simple de rapprocher les économies européennes avec des monnaies distinctes. Comme Jean-Jacques Rosa l’explique, le fait d’avoir une seule monnaie impose une politique unique qui a tendance à renforcer ceux qui vont bien et affaiblir ceux qui vont mal, accentuant les différences au lieu de les résoudre.
Les cercles vicieux de la monnaie unique
Le fait d’avoir une seule monnaie pour des pays aussi différents pose de nombreux problèmes. De manière triviale, cela revient à imposer une pointure unique (un 40 par exemple) à des personnes qui ont des pointures différentes (de 36 à 45). Dans les années 2000, la politique monétaire de la BCE était à la fois trop restrictive pour l’Allemagne (et freinait une croissance anémique) tout en stimulant excessivement l’économie espagnole, par des taux trop bas là-bas.
Deuxième cercle vicieux créé par la monnaie unique : une pression à la baisse sur les salaires. En effet, dans l’ancien SME, quand un pays avait plus d’inflation que le voisin, il dévaluait (ce qui est moins brutal qu’une baisse des salaires, comme l’explique Patrick Artus). Aujourd’hui, le seul moyen de retrouver de la compétitivité est de baisser les salaires, comme en Grèce, où le Smic devrait baisser de 22%. Et cela risque de provoquer une course au moins-disant salarial.
Troisième cercle vicieux : l’impossibilité de rééquilibrer sa balance commerciale. Avant, quand un pays avait un déficit, il dévaluait, ce qui pénalisait les importations et favorisait les exportations. Et quand il était en excédent, sa monnaie s’appréciait. D’ailleurs, les balances commerciales étaient beaucoup plus équilibrées il y a dix ans. Le passage à l’euro rend impossible cet ajustement, ce qui a fait exploser les excédents comme les déficits, autant de bombes à retardement économiques.
Bref, de nombreuses raisons expliquent pourquoi la monnaie unique ne fonctionne pas, comme le soulignent de nombreux économistes. La question qui suit est de savoir s’il faut aller vers plus d’intégration pour corriger les effets pervers de la monnaie unique ou s’il faut revenir à des monnaies nationales.
18:30 Écrit par OUTALHA dans FINANCE | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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FRANCE - ALLEMAGNE : UN JEU DE ROLES UN PEU USE
Et si la partie franco-allemande autour de la crise grecque, telle qu’elle est apparue au dernier sommet européen, n’était qu’un vaste jeu de rôles ? C'est la question que pose notre chroniqueur associé, Roland Hureaux.
La cause semble entendue : l’Europe, accablée par les plans d’austérité, a besoin aujourd’hui de croissance – les méchants sont pour l’austérité, les gentils pour la croissance : l’Allemagne est du mauvais côté, la France du bon, mais elle a du mal à arracher des concessions à Mme Merkel, chancelière de fer (au dictionnaire des idées reçues, de quel autre métal pourrait être un chancelier allemand ?). L’Allemagne exige de la Grèce des mesures de plus en plus saignantes pour continuer à l’aider ; la France tente de les adoucir.
A ce scénario franco-allemand s’ajoute, depuis deux semaines, un scénario (ou une comédie ?) franco-français : la France serait désormais plus ouverte à la problématique de la croissance, Hollande ferait davantage pression sur l’Allemagne en proposant, en particulier, de réviser le traité européen de stabilité et de mettre en place des euro-obligations, au risque de remettre en cause le partenariat franco-allemand, moteur de l’Europe.
Hélas, pour ceux qui colportent cette vision des choses – soit une grande partie de la presse économique –, tout ou presque y est faux.
La France et l’Allemagne demeurent d’accord sur l’essentiel
Maintenir l’euro et sauver suffisamment les apparences pour que la Grèce y demeure – la laisser partir, c’est courir le risque que tout l’édifice s’effondre comme un château de cartes. Pour sauver les apparences, il faut que la Grèce, pourtant à bout de souffle, ait l’air de faire toujours plus d’efforts. Paris et Berlin sont d’accord, mais à Paris, sur ce sujet, Sarkozy et Hollande le sont aussi.
Les sacrifices exigés de la Grèce ? Ils ne sont pas le remède au problème grec. Tout le monde sait qu’aucune cure d’austérité, quelle qu’elle soit, assortie ou non d’une défaillance, ne remettra la Grèce dans le train de l’euro. Les déséquilibres croissants entre les pays d’Europe ne résultent pas de la politique budgétaire : ils sont dus aux différentiels des taux d’inflation et à l’évolution des compétitivités. Or, ces différentiels subsistant, les décalages de compétitivité ne cessent de s’aggraver. La déflation, qui serait la seule solution pour les pays du Sud, n’avait pas réussi dans l’Allemagne de 1930, même si les néo-nazis grecs que l’on découvre ces jours-ci semblent eux aussi de comédie, à côté des vrais de 1933. Pas davantage la déflation, engagée par Pierre Laval, n’avait abouti dans la France de 1934. Proposer à l’inverse, comme Paul Krugman, que l’Allemagne fasse plus d’inflation, c’est rêver, connaissant la phobie qu’elle inspire à cette nation. La seule solution est la rupture de l’union monétaire de telle manière que les différentiels de compétitivité soient neutralisés par de nouvelles parités.
Les euro-obligations ne rétabliraient pas non plus les équilibres : des investissements publics dans l’Europe du Sud, financés par un grand emprunt garanti par l’Europe en théorie, par l’Allemagne en pratique, ne seraient qu’un expédient provisoire en termes de flux financiers et une solution de fond aussi lointaine qu’aléatoire. Tout le monde sait aussi que la Grèce, ni sans doute les autres Etats, ne rembourseront jamais leurs dettes, en tous les cas pas toutes.
Angela Merkel s’adresse d’abord à l’opinion allemande
L’Allemagne, en exigeant de nouveaux plans d’austérité, exprime une position névrotique, deux pulsions contradictoires qui se paralysent. Elle ne veut pas que l’euro éclate, mais elle ne veut pas faire les efforts de solidarité nécessaires pour le sauver (et comment le lui reprocher, puisque cette solidarité serait sans doute le tonneau de Danaïdes ?). C’est cela le message qu’elle envoie en durcissant toujours les conditions des prêts européens. Ces conditions n’étant ni tenables ni tenues, on aiderait la Grèce sans conditions que cela reviendrait au même. Mais le message de Berlin s’adresse d’abord à l’opinion allemande qui ne veut aider personne, ni courir le risque de l‘inflation : le seul choix cohérent serait dès lors de quitter l’euro.
Incapable de le faire, Angela Merkel fait de la gesticulation : elle pose des exigences très dures et qui, de toute façon, ne sont pas la solution du problème. Cela pour consentir à des rapiéçages qu’elle ne peut pas refuser car, pour des raisons historiques, l’Allemagne ne veut rien faire qui donnerait le sentiment que c’est elle qui met fin à l’euro. Loin d’être une émule de Bismark, Angela Merkel apparaît aujourd’hui à beaucoup d’Allemands comme une gestionnaire à la petite semaine incapable de faire de vrais choix.
En ayant l’air de vouloir davantage que l’Allemagne «sauver la Grèce» (en fait sauver les banques françaises et allemandes engagées auprès de l’Etat grec) et relancer la croissance, le gouvernement français aussi se valorise face à sa propre opinion. Même si notre pays n’a aucun intérêt au maintien de l’euro, il joue le rôle de la France ouverte et généreuse qui plaît tant à nos compatriotes.
Quant aux divergences supposées entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, au «changement de ton», selon l’expression consacrée pour désigner une nuance dans une position fausse, là aussi on est au théâtre. Tous les deux font la même politique : faire durer l’euro en faisant du rapiéçage au jour le jour ; entrer dans le jeu de l’Allemagne en donnant l’impression qu’elle se fait prier, ce qui l’arrange et qui nous arrange. Entre des pseudo-gaullistes qui déplorent que le nouveau gouvernement ne s’aligne pas davantage sur les exigences de Berlin et des socialistes qui font semblant de croire qu’il ne s’aligne pas, qui est le plus ridicule ?
Hollande serait plus ouvert à la problématique de la croissance ? Mais introduire de la relance publique dans la rigueur est contradictoire : en stricte orthodoxie keynésienne, c’est l’un ou c’est l’autre, pas les deux. Dans la logique actuelle, celle de l’euro, un peu plus de croissance, c’est forcément plus d’endettement et donc moins de rigueur. Vouloir à la fois la rigueur et la croissance, c’est faire comme l’automobiliste qui appuie à la fois sur l’accélérateur et sur le frein.
Hollande serait il plus gentil (pardon, plus «social») parce qu’il propose des euro-obligations et une révision à la marge du traité de stabilité ? Il sait depuis le départ qu’il ne les obtiendra pas, comme Sarkozy le savait aussi. Et à supposer qu’il les obtienne, nous l’avons dit, ça ne changerait rien. Ca ne mange donc pas de pain d’en parler. Mais du pain, les Grecs en mangent de moins en moins...
18:27 Écrit par OUTALHA dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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