29/11/2012
La Palestine en quête d'un statut à l'ONU
Le 29 novembre 1947, la jeune Organisation des Nations unies adoptait le plan de partage de la Palestine en deux Etats. L'un, juif, fut proclamé quelques mois plus tard sous le nom d'Israël. L'autre, arabe, n'a pas vu le jour et son territoire n'a cessé de se réduire. A défaut d'être en mesure de corriger cette injustice, l'Assemblée générale de l'ONU aura au moins l'occasion, jeudi 29 novembre, de maintenir en vie le principe du partage, énoncé il y a soixante-cinq ans. Ses 193 pays membres doivent en effet se prononcer sur la demande d'élévation du statut de la Palestine d'entité observatrice à Etat observateur (ou Etat non membre) des Nations unies, c'est-à-dire le rang du Vatican. Cette requête a été déposée par Mahmoud Abbas, président de l'OLP et de l'Autorité palestinienne (AP), après l'échec de son plan initial visant à obtenir le statut d'Etat membre à part entière.
Lancé en septembre 2011, ce projet a vite avorté faute d'une majorité en sa faveur au sein du Conseil de sécurité, seul organe de l'ONU habilité à délivrer un statut de plein droit. Abbas eût-il réuni un nombre suffisant de voix que son initiative n'aurait pas eu plus de succès, les Etats-Unis ayant annoncé d'emblée qu'ils brandiraient leur veto en cas de mise au vote. Devant l'Assemblée générale, en revanche, où le veto n'existe pas, le succès d'Abbas est garanti. La Palestine y dispose en effet d'une majorité automatique d'une grosse centaine de pays, qui l'ont pour la plupart déjà reconnue comme Etat.
- Comment est née cette ambition ?
La démarche de Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, est le produit d'un paradoxe : jamais l'Autorité palestinienne n'a autant ressemblé à un Etat, en termes de savoir-faire, et jamais elle n'en a été aussi éloignée, en termes de maîtrise du territoire. Début 2011, alors que le projet d'une reconnaissance à l'ONU prend forme, la Banque mondiale et le FMI donnent leur blanc-seing au patriarche palestinien. Dans des rapports publiés coup sur coup, ces deux temples de la bonne gouvernance occidentale conviennent que l'entité établie par les accords d'Oslo dispose d'une administration suffisamment sophistiquée pour mériter le titre d'Etat. Un certificat de bonne conduite qui vient couronner le travail accompli par le premier ministre, Salam Fayyad, grand manitou de la modernisation des institutions palestiniennes.
Le problème est que cette machine tourne à vide. Le dédale de réglementations militaires israéliennes qui pèsent sur le quotidien des Palestiniens de Cisjordanie et la poursuite de la colonisation, qui les spolie de la terre sur laquelle ils espèrent déclarer leur indépendance, font de l'AP un "Etat-éprouvette". Une superstructure hors sol, dotée d'une maîtrise grandissante des compétences régaliennes mais privée du droit de les exercer.
La contradiction est d'autant plus cruelle que, avec Benyamin Netanyahou au pouvoir en Israël, à la tête de la coalition la plus à droite qu'ait jamais connu ce pays, toute perspective de relance du processus de paix semble illusoire. A la direction palestinienne, beaucoup estiment même que le paradigme d'Oslo a vécu. Qu'aussi longtemps que les négociations prendront la forme d'un tête à tête entre occupant (Israël) et occupé (Palestine), avec les Etats-Unis dans le rôle du facilitateur, ce processus ne pourra être que stérile car asymétrique. D'où la décision d'Abou Mazen de saisir l'ONU, pour desserrer le carcan d'Oslo, internationaliser sa cause et fixer, au moins sur le papier, cet Etat, dans les frontières de 1967 qu'Israël lui dénie.
- Quels gains Mahmoud Abbas peut-il en retirer ?
Voter pour l'admission d'un pays à l'ONU comme "Etat" n'implique pas de reconnaître cet Etat au niveau bilatéral. Les deux processus sont distincts. Si la France se décidait à soutenir la demande du patron de l'AP, elle ne serait pas obligée, le lendemain, de conférer à la représentation de la Palestine à Paris le rang d'ambassade. En revanche, une telle admission peut avoir des conséquences concrètes au niveau de l'ONU. La Palestine pourrait ensuite postuler à la totalité des agences qui lui sont rattachées, comme l'Organisation mondiale de la santé ou le Programme alimentaire mondial, avec une forte chance d'y être acceptée.
Cette perspective est inquiétante pour de nombreux pays occidentaux, qui redoutent une répétition du scénario Unesco : en représailles à l'admission de la Palestine comme Etat membre au sein de cette agence en charge de la culture et de l'éducation, en octobre 2011, les Etats-Unis ont cessé de la financer. Un manque à gagner équivalent à 22 % de son budget ! En théorie, également, la Palestine pourrait intégrer la Cour pénale internationale (CPI), comme l'a laissé entendre son procureur général, et donc y déposer plainte contre des responsables israéliens. Là encore, cette éventualité crispe de nombreux alliés de l'Etat juif. Au point que Nicolas Sarkozy, le premier à suggérer à Mahmoud Abbas de viser le statut d'Etat observateur, avait tenté de le faire renoncer par avance à toute saisine de la CPI. Les tractations devraient donc aller bon train d'ici jeudi 29 novembre pour obtenir des Palestiniens quelques discrètes assurances sur leurs intentions d'après-vote.
- A quels risques Mahmoud Abbas s'expose-t-il ?
Abrogation des accords d'Oslo, accélération de la colonisation, confiscation des droits de douane palestiniens et interdiction aux dirigeants de l'AP de sortir de Cisjordanie : l'éventail de représailles qu'agite Israël peut paraître dissuasif. Il ne l'est pas vraiment aux yeux des responsables palestiniens, qui ont déjà expérimenté nombre de ces mesures punitives. Même la note du ministère des affaires étrangères israélien suggérant de "renverser le régime d'Abou Mazen" ne les a pas fait douter. Ils savent qu'Israël aurait beaucoup trop à perdre du démantèlement de l'AP. Il se retrouverait avec la population de la Cisjordanie sur les bras, soit 2,5 millions d'habitants (1,5 million dans la bande de Gaza), dont il lui faudrait financer les besoins en matière de santé et d'éducation. Et il perdrait l'appui des services de police palestiniens, à qui il a efficacement sous-traité une partie de sa sécurité et de celle des colonies juives de Cisjordanie.
Le véritable risque qu'encourt Mahmoud Abbas est celui d'un désaveu des Européens lors du vote du 29 novembre. Alors que son rival du Hamas parade, fort de la "résistance" de ses combattants durant la récente guerre contre Israël et des attentions que lui ont prodiguées la dizaine de ministres arabes accourus à Gaza, le patriarche palestinien est sur la corde raide. Les quasi-visites de courtoisie que lui ont rendues Hillary Clinton et Laurent Fabius ont mis en lumière sa marginalisation croissante. Il a besoin d'un rapide succès, fût-il symbolique, pour reprendre pied sur la scène politique palestinienne.
Un soutien des grandes capitales européennes à l'Assemblée générale pourrait l'y aider et redonner un semblant de lustre au credo sur lequel il a bâti sa carrière : la résolution du conflit par la négociation, sur la base de deux Etats pour deux peuples. Une abstention de ces mêmes capitales enverrait un message rigoureusement inverse. Elle ferait l'affaire des radicaux des deux camps. Mahmoud Abbas, dont on a souvent dit qu'il était à deux doigts de démissionner, trouverait là une bonne raison de claquer définitivement la porte.
Chronologie
1974 L'OLP se voit accorder le statut d'observateur à l'ONU.
1988 A Alger, l'OLP proclame la création de l'Etat de Palestine sur les territoires occupés en 1967 par Israël (Cisjordanie et Gaza). Cet Etat est reconnu par une centaine de pays du Sud et du bloc soviétique.
1993 Signature des accords d'Oslo sur la pelouse de la Maison Blanche à Washington. Ils lancent le processus de paix entre Israël et les Palestiniens.
2000 Effondrement du processus de paix et début de la seconde Intifada, qui prendra fin en 2005 avec l'élection, à la présidence palestinienne, de Mahmoud Abbas.
2007 Le Hamas, victorieux un an plus tôt aux élections législatives palestiniennes, s'empare de la totalité du pouvoir à Gaza.
2008 Relancé un an auparavant à Annapolis (Etats-Unis), un nouveau processus de négociation israélo-palestinien s'achève sur un échec.
2011 Mahmoud Abbas demande l'admission de la Palestine comme Etat membre à part entière à l'ONU. Faute d'un soutien suffisant au sein du Conseil de sécurité, il opte un an plus tard pour le statut moins prestigieux d'Etat non membre.
10:37 Écrit par OUTALHA dans international, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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Gaza réussira-t-elle à imposer une nouvelle équation stratégique à Israël ?
Dans cette guerre psychologique qui ne dit pas son nom, les rôles sont inversés. La victime devient bourreau et le bourreau victime.
Les raids de l’aviation israélienne qui ont ciblé plusieurs sites de la résistance palestinienne à Gaza, tuant au passage, Ahmed Jaabari, le chef des opérations militaires de la branche armée du Hamas, constituent-ils le prélude à une nouvelle guerre d’agression après l’échec de la guerre précédente de décembre 2008-janvier 2009 ? Deux éléments permettent de redouter sérieusement cette éventualité si les initiatives de bonne volonté visant à arrêter cette escalade n’arrivent pas à atteindre leur objectif.
D’une part, l’ordre de mobilisation de 75 000 réservistes de l’armée israélienne laisse penser que le gouvernement israélien pense sérieusement à une offensive terrestre. D’autre part, les réactions complaisantes de l’Amérique et de l’Europe constituent paradoxalement un encouragement à cette sale guerre au moment même où les dirigeants de ces puissances, qui ne ratent aucune occasion pour rappeler leur intérêt pour l’instauration d’une paix durable dans cette région, déclarent agir en vue d’éviter une escalade dangereuse.
Pour les centaines de milliers de Gazaouis qui n’ont jamais connu depuis leur naissance autre chose que la misère de l’occupation, le blocus et la guerre, cette agression israélienne n’est pas une surprise. Reste à comprendre les ressorts et les objectifs avoués et cachés de cette nouvelle guerre contre le peuple palestinien. Aux bombardements de l’aviation et de l’artillerie israéliennes, le peuple palestinien doit aussi faire face à la guerre psychologique dans laquelle excellent les appareils médiatiques à la solde de la Finance internationale et qui n’ont jamais caché leur soutien inconditionnel à Israël dans les moments critiques.
Dans cette guerre psychologique qui ne dit pas son nom, les rôles sont inversés. La victime devient bourreau et le bourreau victime. Si le gouvernement israélien a décidé d’envoyer ses avions bombarder les sites du mouvement Hamas à Gaza, ce serait tout simplement en réaction aux tirs de roquettes de ce mouvement en direction des colonies israéliennes. Pour l’Amérique et l’Europe, les attaques israéliennes s’apparentent à un acte d’auto-défense légitime.
Le fait que ces attaques israéliennes se produisent dans une période électorale est un indice supplémentaire que la droite israélienne conduite par Netanyahu cherche à mobiliser les centaines de milliers de voix des colons excédés par les tirs de roquettes du Hamas. Même quand ils feignent de pointer du doigt le cynisme de Netanyahou, les médias proches de la gauche bien-pensante comme Le Monde ou Libération insinuent perfidement que quelque part il y aurait une alliance tacite entre la droite israélienne et le Hamas.
Les pseudo-analystes qui s’adonnent à la géopolitique de dimanche vont jusqu’à commercialiser la thèse selon laquelle cette guerre serait avant tout dirigée contre l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas et son projet de demande de reconnaissance de la Palestine par l’ONU. Que le cynisme sans limites de Netanyahu puisse inclure un tel objectif parmi tant d’autres dans son agenda stratégique et diplomatique, cela n’aurait rien d’étonnant en soi. Mais cela ne doit pas conduire à confondre l’accessoire et l’essentiel et à passer à côté des véritables enjeux stratégiques de la guerre.
L’entêtement des dirigeants israéliens et de leurs protecteurs américains et européens à refuser une demande de l’Autorité palestinienne qui ne représente aucun danger pour la sécurité d’Israël montre tout simplement à quel point l’arrogance sur laquelle les Israéliens semblent eux-mêmes fonder leur existence politique nationale ne peut s’accommoder d’aucune demande palestinienne sérieuse aussi symbolique fût-elle.
Mais pour offensante qu’elle soit, cette arrogance israélienne qui consiste à dire aux Palestiniens : « Même un Rien, vous ne l’aurez que si nous le décidons et dans la forme que nous aurons décidée » ne doit pas faire oublier l’essentiel : La solution des deux Etats sur laquelle la communauté internationale espère toujours fonder une hypothétique paix dans la région est rendue chaque jour impossible par la multiplication des colonies israéliennes et ce, en contradiction flagrante avec les recommandations de tous les négociateurs internationaux depuis 1993 ! Ce fait, grave et massif, à savoir qu’Israël, par sa politique de colonisation, est en train de mettre en danger le principe même de la solution diplomatique des deux Etats et donc de tout espoir de paix est reconnu même par un fervent et intelligent défenseur de l’Etat d’Israël, l’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit.
En effet, il y a une chose qu’aucun média-mensonge ne saurait cacher : Il n’y aura aucun espoir de paix sérieuse dans la région tant que les colonies israéliennes ne sont pas démantelées en Cisjordanie occupée. Or, non seulement les Israéliens ne semblent pas disposés à cela, mais les dirigeants actuels de la droite au pouvoir n’hésitent pas à accélérer le programme de construction de nouvelles colonies y compris à Jérusalem-Est. En politique, si cela ne s’appelle pas un acte de guerre, c’est en tout cas un acte dirigé sciemment contre tout processus de paix.
Les observateurs et analystes qui feignent d’ignorer ce paramètre par ignorance, aveuglement ou complaisance ne rendent pas service à la paix dans la région. Ils ne font que cacher les causes profondes et véritables de la guerre endémique que subit régulièrement le peuple palestinien. Une guerre qui n’est que la continuation par d’autres moyens de la politique de négation, de colonisation et d’expulsion menée depuis des décennies à l’encontre du peuple palestinien.
Les enjeux cachés d’une guerre
La guerre d’agression que le gouvernement Netanyahu vient de déclencher contre Gaza dépasse de loin les petits calculs d’épicier d’un dirigeant en campagne électorale obsédé par la perspective toute symbolique d’une reconnaissance internationale d’un Etat palestinien qui n’existe que sur le papier. C’est une guerre préventive contre un bastion de la résistance palestinienne qui n’est pas seulement sorti indemne de la précédente guerre de 2008-2009, mais qui semble en plus s’être renforcé politiquement et militairement par les derniers changements géostratégiques qui ont affecté la région, principalement en Egypte.
On ne comprendra rien à l’agression israélienne contre gaza si on ne l’inscrit pas dans le contexte géostratégique régional global. La sentinelle avancée de l’Empire dans la région suit avec anxiété les changements géopolitiques survenus à la faveur du « printemps arabe ». Si certains de ces changements semblent rassurer l’Empire et sa sentinelle israélienne quant à la possibilité de tirer profit de la subversion des régimes autoritaires qui ne jouent pas le jeu impérial comme en Libye et en Syrie, l’évolution des évènements ne semblent pas toujours aller dans le sens souhaité par les puissances bellicistes qui ont été trop optimistes dans leurs calculs.
La raclée reçue par les Américains en Afghanistan, leur déception profonde en Irak, un pays qu’ils ont « libéré » pour assister à son retournement progressif comme en témoigne sa position dans le conflit syrien, son méga-contrat militaire de 5 milliards de dollars avec la Russie et la récente cession du permis d’exploitation des puits pétroliers du sud irakien à une compagnie russe sans parler de ses relations amicales avec l’Iran, la résistance de l’Iran face à l’embargo international et son recours à ses capacités d’innovation technologique nationales en plus de l’utilisation intelligente de certaines filière internationales, la résistance du régime syrien qui a su utiliser à son profit aussi bien son alliance avec l’Iran que les craintes géopolitiques des puissances comme la Russie et la Chine qui voient d’un mauvais œil la nouvelle croisade démocratique de l’Empire, la montée des périls dans la Jordanie voisine qui risque de tomber à son tour entre les mains de « Frères Musulmans » pas aussi sympathiques que l’auraient espéré les Israéliens mais surtout le retour de la grande Egypte sur la scène géopolitique régionale, un retour d’autant plus inquiétant qu’il a tout l’air d’une « révolution tranquille » qui contraste avec les postures verbeuses et inefficaces du passé, sont autant d’éléments géopolitiques qui concourent à accroître l’inquiétude des dirigeants israéliens.
Les rares analystes israéliens qui ont essayé de tirer la sonnette d’alarme et à mettre en garde contre les retombées stratégiques non désirées du « printemps arabe » auront finalement eu raison. Mais c’est trop tard. La politique internationale n’a rien à voir avec les jeux de simulation vidéo. Les tendances sociologiques lourdes qui structurent les espaces publics dans la région sont trop puissantes pour être apprivoisées par des officines budgétivores qui seront toujours en retard par rapport à une réalité mouvante dont les subtilités culturelles échappent au demeurant à des cadres formés au mieux par l’orientalisme douteux de Bernard Lewis et consorts.
Tout ce que les Israéliens peuvent faire aujourd’hui est de sortir leurs capacités dissuasives pour montrer aux nouveaux acteurs géopolitiques de la région qu’Israël reste l’acteur stratégique majeur par excellence. En attendant ou plutôt à défaut de frapper l’Iran, ce qui reste une opération risquée et pour le moment non désirée par le protecteur américain, l’armée israélienne peut montrer ses dents contre Gaza. Le message est censé être d’autant plus important qu’il s’adresse à plus d’un acteur, à l’Iran bien-sûr qui arme la résistance palestinienne, au Hezbollah qui défie la puissance israélienne au Liban et à l’Egypte nouvelle dont on ne sait pas encore jusqu’où elle pourrait aller dans la défense de Gaza. La nouvelle guerre de Gaza s’apparente à un test stratégique régional grandeur nature. L’enjeu est de taille puisqu’il ne s’agit ni plus ni moins que de prouver la capacité dissuasive de l’Etat d’Israël dans un nouvel environnement régional aux contours encore inconnus.
Une nouvelle équation stratégique ?
Au vu des opérations militaires de ces derniers jours, le test israélien s’avère catastrophique. C’est ce que les médias à la solde des lobbies israéliens font tout pour cacher. La résistance admirable de la résistance palestinienne est en train de changer l’équation stratégique régionale. Les raids de l’aviation israélienne ne constituent pas une nouveauté dans le conflit israélo-palestinien. En revanche, ce qui est nouveau, c’est la capacité de la résistance palestinienne à tirer des missiles de moyenne portée capables de toucher la profondeur d’Israël. Les missiles FAJR 5 livrés à la résistance par l’Iran constituent une nouveauté qui renseigne sur le degré d’engagement de l’Iran aux côtés de la résistance palestinienne. Dans une vidéo de propagande, l’armée israélienne n’a pas pu cacher l’inquiétude que lui inspire la possession de ces missiles par les mouvements palestiniens.
Si elle ne manque pas de courage, la décision de l’Iran d’armer de manière aussi conséquente la résistance palestinienne indique que ce pays prend au sérieux les menaces israéliennes visant son programme nucléaire et son intégrité territoriale. C’est en toute logique qu’il a décidé d’anticiper les menaces du gouvernement de Netanyahou et d’armer la résistance palestinienne afin de fixer une partie de l’arsenal israélien sur le front de Gaza. Ce faisant, les rodomontades de Netanyahu se sont retournées finalement contre la sécurité d’Israël.
Mais ce qui est encore plus spectaculaire, c’est que la résistance palestinienne ne s’est pas contentée de faire rentrer les missiles iraniens à Gaza et à entraîner ses combattants à leur utilisation, ce qui est déjà une gageure, elle a en outre commencé à s’en inspirer pour la mise en œuvre d’un projet de fabrication de missiles locaux, les fameux AM75 qui ont la même portée que le FAJR5 , soit 75 km et donc capables d’atteindre Tel Aviv et Jérusalem sans parler de missiles de moindre portée comme le « Nasser » dans ses différentes versions de 20 à 40 km.
Dans cette bataille de l’innovation technologique, la résistance palestinienne est en train d’enregistrer des progrès fulgurants comme en témoigne le test d’essai d’un drone palestinien à Gaza qui semble inquiéter sérieusement les services secrets de l’armée israélienne.
Et cerise sur le gâteau, une partie des missiles Grad de fabrication russe dérobés dans les arsenaux libyens s’est retrouvée à Gaza entre les mains de la résistance palestinienne et c’est peut-être un de ces missiles qui aurait atteint un drone et un chasseur israéliens. Le scénario tant redouté de l’arroseur arrosé est en train de se réaliser au-delà des attentes des uns et des autres.
Le gouvernement israélien se trouve aujourd’hui piégé dans son jeu propre guerrier. En essayant d’envoyer un message confirmant la toute-puissance d’Israël à ses électeurs, aux Palestiniens et au monde, le gouvernement israélien qui ne s’attendait pas à une telle riposte qualitative de la résistance palestinienne est obligé de dévoiler une cruelle vérité qui constitue à n’en pas douter un tournant dans le conflit du Proche-Orient : Israël a perdu son immunité stratégique. Il pourra toujours compter sur sa suprématie stratégique et sa supériorité aérienne absolue dans la région, mais il ne pourra plus espérer que ses villes et ses colonies resteront à l’abri des coups de la résistance.
Même si la disproportion entre les armes des deux protagonistes reste indiscutable, les tirs de missiles palestiniens sont assez suffisants pour changer la donne psychologique et politique. C’est la première fois depuis 1991, date à laquelle Saddam Hussein avait tiré 39 missiles Scud sur Tel Avive, que la capitale israélienne se réveille au bruit de missiles palestiniens, et ce malgré un moderne et coûteux dispositif anti-missiles appelé « Dôme de fer » qui n’a pas réussi jusqu’ici à intercepter plus du tiers des missiles lancés par la résistance palestinienne. La peur est en train de changer de camp comme le montrent les mouvements de panique et de dépression qui s’emparent des habitants et des réservistes israéliens au son des sirènes d’alerte et du bruit occasionné par la chute des missiles palestiniens sans parler du coût financier que l’économie israélienne doit supporter en cas de prolongation d’un conflit qui s’avère plus risqué que le conflit précédent.
Il s’agit là vraisemblablement d’une nouvelle équation stratégique et nul doute que tous les stratèges israéliens sont en train d’étudier ses retombes à moyen et long termes. Si Israël ne peut pas empêcher la riposte balistique de deux mouvements de guérilla palestiniens, comment pourra-t-il empêcher demain la riposte éventuelle du Hezbollah qui est sans doute mieux équipé que les mouvements palestiniens ou à fortiori la riposte d’armées conventionnelles comme les armées iranienne, syrienne ou égyptienne ?
C’est ce qui explique sans doute la nervosité du gouvernement israélien. D’un côté, la riposte palestinienne le pousse à accentuer l’escalade militaire pour étouffer dans l’œuf ce qui lui paraît déjà une menace stratégique à terme. De l’autre, il n’est pas sûr que le prix de l’escalade militaire ne dépassera pas le seuil que peuvent supporter sa campagne électorale et la stabilité du front intérieur israélien.
Mais outre l’intrusion de facteurs militaires nouveaux sur la scène palestinienne, les Israéliens et leurs protecteurs occidentaux doivent tenir compte de nouveaux facteurs géopolitiques autrement plus décisifs. Si l’agression contre Gaza avait aussi pour but de tester l’attitude de l’Egypte, les Israéliens et leurs alliés en ont été pour leurs frais. Même s’il n’est pas spectaculaire, le changement est perceptible. Les capitales concernées ont bien reçu le message de la nouvelle Egypte.
Par la voix de son président, Mohammed Morsi, l’Egypte a fait la promesse solennelle qu’elle ne laissera pas Gaza seule. Le déplacement du premier ministre égyptien à Gaza suivi du déplacement du ministre tunisien des affaires étrangères s’inscrivent dans un nouveau schéma diplomatique qui risque d’embarrasser Israël qui se retrouve face à différentes formes d’intervention difficiles à combattre en même temps (Le soutien politique de l’Egypte, le soutien militaire de l’Iran et le soutien financier du Qatar) Même la Turquie, pourtant membre de l’Otan, ne peut rester en marge de ce mouvement de solidarité sans perdre le peu de crédit politique qu’il lui reste dans la région, après s’être laissée piéger par le conflit syrien.
L’articulation de ces niveaux d’intervention n’a pas d’importance. La résistance palestinienne n’a pas besoin de plus. Sans tomber dans une politique aventuriste préjudiciable à ses intérêts stratégiques, l’Egypte peut faire mal à Israël. Il suffit de laisser les tunnels fonctionner normalement et de laisser la société civile égyptienne organiser librement le soutien actif à la résistance palestinienne.
Même en faisant semblant d’acquiescer aux demandes américaines qui sont des pressions déguisées en vue de la pousser à freiner la résistance palestinienne, l’Egypte peut œuvrer en vue d’arrêter ou du moins baisser l’intensité du conflit, ce qui serait déjà une victoire pour la résistance palestinienne qui saura exploiter la moindre trêve pour mieux s’organiser, se renforcer et se préparer aux batailles futures.
La boussole palestinienne
Au-delà de la riposte admirable à l’offensive israélienne, la résistance palestinienne est en train d’écrire une nouvelle page dans l’histoire de la résistance des peuples de la région aux tentatives de redéploiement impérial. Le fait que les différentes factions de la résistance palestinienne aient pu s’unifier dans l’action contre la dernière agression en date de leur ennemi commun est une preuve de leur maturité stratégique qui est restée intacte malgré les différends secondaires que certaines officines cherchent à faire dévier en conflits ouverts.
Le conflit entre le Hamas et le Fatah de Mahmoud Abbas est connu, et malgré les enjeux stratégiques qui s’y rapportent, des forces présentes dans les deux camps ont empêché qu’il dégénère en guerre civile susceptible de porter atteinte à l’arme stratégique principale du peuple palestinien dans cette étape difficile de son combat : l’unité nationale.
Le conflit syrien par lequel certaines capitales occidentales ont voulu se débarrasser d’un régime coupable de ne pas s’intégrer dans le nouveau grand jeu impérial dans la région a divisé, comme on pouvait s’y attendre, les forces nationales palestiniennes. D’un côté une partie du Hamas s’est retournée contre l’ancien allié syrien pour se ranger du côté de leurs frères idéologiques de l’opposition syrienne et de l’autre le « Djihad islamique », connu pour son alliance stratégique avec l’Iran, continue de soutenir le régime syrien.
Mais quelle que soit la complexité du conflit syrien qui se nourrit malheureusement de contradictions locales rendues insurmontables par l’aveuglement et l’incapacité des deux parties à se hisser au niveau des exigences stratégiques et qui est aggravé par les ingérences extérieures, le fait que le Hamas et le Djihad islamique aient évité d’importer ce conflit sur la scène palestinienne de Gaza constitue une victoire morale sur l’ennemi qui a tout fait pour favoriser un tel scénario.
Et nul doute que la dernière agression israélienne en date ne fera que renforcer le front intérieur palestinien et au-delà, faut-il l’espérer, l’ensemble du front anti-impérial dans la région. C’est dire que dans une conjoncture historique marquée par l’interférence contradictoire de nombreux facteurs internes et externes qui rendent la scène régionale opaque et mettent les acteurs politiques devant des choix difficiles, Gaza la rebelle, qui résiste admirablement, constitue peut-être la boussole tant recherchée par tous ceux qui ont décidé de se soulever pour leur émancipation nationale, démocratique et sociale.
09:50 Écrit par OUTALHA dans international | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
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