06/02/2013
LA CRISE DE LA CULTURE
Il est plus qu'urgent de mettre la culture au centre de nos choix politiques et économiques afin d'affronter le futur numérique, préparer une autre forme de développement et consolider notre capacité de résistance aux forces obscurantistes qui se faufilent et marchent dans la nuit de l'ignorance, puis à sa faveur croissent et se fortifient.
Dans son livre La crise de la culture, Hannah Arendt cite dès le début de la préface de son ouvrage un aphorisme du poète français René Char : «Notre héritage n’est précédé d’aucun testament». Elle va expliquer et développer son propos en introduction de son livre en incluant une parabole de Kafka sur le conflit entre le passé et le futur. Between past and futur (Entre le passé et le futur) est du reste le titre original en anglais de cet essai rassemblant huit textes, publié en 1954 puis traduit et édité chez Gallimard en 1972. Pour Arendt, l’homme se tient en équilibre instable dans une brèche entre un passé révolu et un avenir inqualifiable parce qu’imprécis. Or, à travers l’histoire et pendant des millénaires nous ne savions rien de tout ce temps passé et encore moins sur l’avenir. A partir de la fondation de Rome, la brèche fut comblée par ce qu’on a appelé la tradition, laquelle tradition a depuis lors été usée. Nous ne semblons donc toujours pas préparés pour être installés dans cette brèche entre le passé et le futur. Car «lorsque le fil de la tradition se rompit finalement, écrit-elle, la brèche entre le passé et le futur cessa d’être une condition particulière à la seule activité de la pensée et une expérience réservée au petit nombre de ceux qui faisaient de la pensée leur affaire essentielle. Elle devint une réalité tangible et un problème pour tous ; ce qui veut dire qu’elle devient un fait qui relevait du politique».
Loin de l’analyse politico-philosophique abrupte et en contrebas des sommets arides de la pensée, nous ne retiendrons que l’étrange aphorisme de Char selon lequel notre «héritage n’est précédé d’aucun testament», d’une part, et le fait que la brèche dont parle Arendt soit devenue une question politique. Si l’on opte pour le mot culture, non pas dans le sens large et anthropologique, mais dans son acception «ordinaire», c’est-à-dire en tant qu’ensemble d’activités artistiques, littéraire et autres, on en arrive au même raisonnement et certainement au même constat. Voilà qui nous ramène logiquement aux choses culturelles et organiquement aux affaires du même nom et au département qui préside à leurs destinées. Il est inutile de ressasser encore une fois (nous l’avons fait à maintes reprises depuis que les pages culturelles existent dans la presse de ce pays) et d’insister sur la profondeur historique, la richesse, l’épaisseur et la diversité culturelles d’un pays comme le Maroc. Des monuments, certes mal entretenus et encore mal répertoriés, des livres et des incunables introuvables ou encore mal inventoriés et tout un patrimoine populaire : chants, musique, danse, contes, gastronomie, etc. Tout un imaginaire de moins en moins transmis a forgé une identité et une culture que nous avons reçues en héritage mais sans testament, comme le dit René Char. Si en droit nous en sommes tous les héritiers, qui est en fait l’exécuteur testamentaire de cet héritage sans testament ? Si l’on en juge par les déclarations du ministre en charge de la culture telles que rapportées par la presse, il y a un vide juridique en matière d’industrie culturelle. Ce vide existe depuis des lustres et l’on a toujours pointé d’abord la faiblesse du budget alloué au ministère. Mais préparer, présenter et défendre une loi coûte moins d’argent qu’organiser un festival. Sauf que la première est une décision politique portée par une volonté qui ne l’est pas moins, mais inscrite dans une stratégie globale, articulée et intégrée au sein d’une vision et un projet de société. En attendant, tous les responsables qui se sont succédé à la tête de ce département depuis plus d’un demi siècle ont privilégié un travail de bienfaisance pépère qui consiste à saupoudrer quelques dizaines de millions de dirhams. C’est le cas cette année où, nous dit-on, 60 millions de DH seront attribués à la musique, au théâtre, au livre et aux festivals, dont 2 au livre et 4,5 à… la chanson. Il est vrai que pousser la chansonnette revient plus cher qu’aider un écrivain à publier un bouquin. En tout état de cause (et cause toujours), lorsqu’on n’a rien et que l’on est obligé de donner moins, moins que rien c’est que dalle, pour parler vulgairement, parce qu’il y a des jours où le chroniqueur du temps qui passe et des choses de la culture qui trépassent a envie de laisser René Char, Hannah Arendt et bien d’autres là où ils sont. Ou de n’en parler qu’avec une bande de copains, comme l’on parle d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent ou n’ont pas, hélas, les moyens de connaître. Pourtant, on sait qu’il est plus qu’urgent de mettre la culture au centre de nos choix politiques et économiques afin d’affronter le futur numérique, préparer une autre forme de développement et consolider notre capacité de résistance aux forces obscurantistes qui se faufilent et marchent dans la nuit de l’ignorance, puis à sa faveur croissent et se fortifient.
18:42 Écrit par OUTALHA dans Loisirs et Culture | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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L’Euro, une histoire de compromis
Pour bâtir une maison, un architecte se doit de respecter des principes : il ne peut faire de compromis avec les lois de la physique. A bien des égards la construction de l’Euro a été une suite de compromis, qui ne pouvait inévitablement que mener à l’écroulement de la maison Eurozone.
Le premier des compromis vient sans doute de l’histoire tourmentée du continent et de ses deux rivaux continentaux, la France et l’Allemagne. Après trois guerres épuisantes avec le turbulent voisin teuton, la pilule de la réunification a été dure a avaler en France. Et face à la montée inexorable du Deutschemark depuis les années soixante, il s’agissait pour les français en perte de vitesse de neutraliser le monstre allemand : le deal fut « ta réunification contre l’Euro ».
Le deuxième compromis a été celui avec la théorie même qui justifiait supposément l’Euro : celle de la zone monétaire optimale. Deux conditions n’en ont pas été respecté :
- la mobilité des facteurs (l’absence de langue unique est un obstacle majeur) et la flexibilité des marchés (voir les marchés du travail de la Grèce, de l’Italie ou de la France…)
- la présence d’un système de transferts entre régions pour amortir les chocs (une discipline budgétaire commune suffirait…).
Le troisième compromis est un « compromis à l’intérieur du deuxième compromis » : la France et l’Allemagne furent les premières dans les années 90 et à nouveau dans les années 2000 à s’exonérer de la discipline budgétaire.
Le quatrième compromis suit logiquement : la Grèce, démocratie dysfonctionnelle à État fortement clientéliste et à finances publiques plus que très opaques , n’aurait jamais dû intégrer l’aventure. Mais n’était-elle pas le berceau de la démocratie européenne, comme le rappelait Giscard ? N’allait-elle pas accueillir les Jeux Olympiques, vitrine de l’Europe ? Elle ne pouvait pas, politiquement, ne pas rejoindre la zone Euro.
Le cinquième compromis est celui fait dès le lancement de l’Euro avec la vision monétaire traditionnelle de l’Allemagne (pour qui la monnaie est synonyme de contrat – et non de pouvoir comme en France). La politique monétaire européenne a été menée pour rétablir une Allemagne alors homme malade de l’Europe, pour doper sa machine à exporter. Cette politique monétaire européenne par définition « moyenne » (un compromis là encore) a généré des bulles dans les pays du Sud comme l’Espagne, aggravé leurs problèmes de compétitivité et de déficits de comptes courants.
Le sixième compromis touche au non-respect de la clause de no-bailout de la part de la BCE. On sait que le 10 mai 2010, après avoir tenu bon devant des hommes politiques qui réclamaient « une vraie banque centrale » (comprenez : qui fasse tourner la planche à billets pour financer la mauvaise gestion des deniers publics), Jean-Claude Trichet a avalé son chapeau (et son « in-dé-pen-dan-ce ») pour racheter des obligations grecques. Les traités n’ont plus de valeur…
L’Euro devait mener la stabilité des prix. En Grèce les prix ont grimpé deux fois plus vite qu’en Allemagne sur la première décennie de l’Euro. Et quand la monétisation actuelle des dettes du Sud ne pourra plus être stérilisée par le biais de la banque centrale allemande, ce qui devrait arriver d’ici peu, l’inflation va pointer son nez. Autre compromis donc, avec une « mission » fondamentale de l’Euro.
Au total ces sept « pêchés capitaux » de l’Euro ont mené à une trahison : on avait promis aux peuples européens la prospérité par cet instrument qu’est l’Euro ; ils ont aujourd’hui le chaos. Et alors que l’Euro était supposé n’être qu’un instrument, il devient une fin en soi, « irréversible », et ce, alors même qu’il a failli. Le MES, n’est de ce point de vue, que la continuation de cette suite de compromis, amplifiée par un aléa moral gigantesque.
L’Euro est d’essence purement politique, et donc, fondamentalement, de « compromis ». Les européens paient aujourd’hui le prix de cette compromission compulsive de la part de leurs élites politiques. Leur porte de sortie se trouverait, non pas dans un retour aux monnaies nationales, mais dans l’ouverture monétaire : l’Euro ne serait qu’une monnaie parmi d’autres, toutes libres de circuler sur le territoire européen, chacune rendant les services monétaires à des populations qui ne seraient plus enfermées dans le carcan du monopole – du compromis. Alors que l’innovation monétaire libère peu à peu le voisin africain, faudrait-il que l’Europe se verrouille ?
Vendredi 12 Octobre 2012
18:41 Écrit par OUTALHA dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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