Pourquoi cette levée de boucliers chez certains nantis contre la taxation, exceptionnelle et limitée dans le temps, des hauts revenus ?

22/09/2012

L'EURO DEFINITIVEMENT DANS L'IMPASSE?

Aujourd’hui, face à l’impasse dans laquelle se trouve la zone euro, il est de bon ton de dire que la seule solution est une plus grande intégration. Même The Economist le soutient. Pourtant, un examen de cette voie en révèle l’impasse totale, autant économique que politique.

Un problème de balance de paiements

Devant la difficulté des pays en déficits à financer leurs dettes, on évoque l’augmentation des moyens du MES ou la mise en place d’euros obligations. Pourtant, presque tout le monde oublie qu’il y aurait un moyen très simple de financer les déficits, à savoir la monétisation partielle des dettes publiques par la Banque Centrale (la Grande-Bretagne le fait à hauteur de 5% du PIB depuis trois ans), mais cela imposerait de revenir sur l’indépendance de la BCE, vache sacrée en Allemagne.

 Qui plus est, on voit bien que tous les plans européens mis en place ne marchent pas. S’ils fournissent des liquidités aux pays « aidés », ils y accentuent la crise économique au lieu de la résoudre. Les coupes sombres dans les dépenses publiques affaiblissent des économies déjà anémiées par des déficits extérieurs importants. Du coup, la récession induite balaye une bonne partie des efforts réalisés, en imposant des coupes qui accentuent le cercle vicieux, comme en Grèce.

 En fait, ce sont les créanciers qui sont les bénéficiaires de ces plans, qui leur garantissent (à part en Grèce) le remboursement de créances sur lesquelles les Etats auraient fait défaut sans ces aides. Problème, si ces plans règlent les problèmes de trésorerie des Etats, ils ne règlent en aucun cas leurs problèmes de capacité productive. Ce dont la Grèce et l’Espagne ont besoin aujourd’hui, c’est de rééquilibrer leur commerce extérieur et de produire davantage pour réduire le chômage.

 Or, si les baisses de salaire devraient à terme améliorer la compétitivité de ces pays, elles provoquent dans un premier temps un effondrement économique et social. Comme l’a souligné Patrick Artus, il serait beaucoup plus simple de dévaluer. Mais cela imposerait à ces pays de sortir de la monnaie unique, ce que les dirigeants européens souhaitent éviter tant ils ont investi de capital politique dans son soutien. La Grèce irait bien mieux aujourd’hui si elle avait quitté l’euro en 2010.

Un coût astronomique

Pourtant, l’énormité des sommes en jeu devrait faire réfléchir. Les dirigeants européens ont utilisé pas moins de 400 milliards d’euros pour maintenir la Grèce dans l’euro (deux fois son PIB !), entre le FESF et les aides de la BCE. Et cette débauche de moyens n’a rien réglé, ne faisant qu’augmenter la facture d’une sortie ultérieure. Pire, aujourd’hui, des pays bien plus importants sont au bord de l’asphyxie. La débauche d’argent semble aggraver les problèmes plus que les résoudre.

 On peut comprendre alors que les Allemands refusent absolument les euros obligations (par 79% contre 14%). Le système imaginé par l’institut Bruegel revenait à demander à Berlin une caution solidaire de 4000 milliards d’euros, soit 150% du PIB du pays. Soit dit en passant, pour la France, cela représenterait 200% de notre PIB. On s’étonne de la facilité de certains dirigeants à accepter des engagements encore plus astronomiques que ceux donnés pour le MES !

 Qui plus est, l’exemple de la Tchécoslovaquie invite à beaucoup de prudence. En effet, quand la République Tchèque et la Slovaquie se sont séparées, les deux nouveaux Etats pensaient conserver la même monnaie. Mais très rapidement, ils ont constaté qu’ils avaient besoin d’une politique monétaire différente car sept décennies d’histoire commune n’avait pas fait de ce petit Etat une Zone Monétaire Optimale. Alors, cela semble totalement illusoire à l’échelle de la zone euro.

 Si une évolution de type fédéral peut repousser l’échéance de la fin de l’euro, en revanche, elle ne résoud rien aux véritables problèmes de l’Europe. Pire, comme on le voit en Grèce, elle augmente le montant des créances, créé une organisation absolument ingérable et ne résoud aucun des déséquilibres.

Le fait d’avoir une seule monnaie a tendance à faire diverger les économies au lieu de les faire converger.

Après avoir étudié en quoi la monnaie unique européenne n’a pas tenu ses promesses et qu’elle est surtout un moyen de contraindre les européens à accepter une Europe fédérale, il faut étudier pourquoi cette monnaie unique ne marche pas, comme l’annonçaient beaucoup d’économistes il y a 20 ans.

 Pourquoi la zone euro ne peut pas marcher

Pour être honnête, le mythe de l’euro peut être séduisant : des pays qui se faisaient la guerre unissent leurs monnaies, pour la paix, pour leur prospérité et pour davantage peser dans un monde dont les équilibres changent. Tout d’abord, on peut douter que la monnaie soit un facteur de paix. Ensuite, il faut bien constater que question prospérité, la zone euro va mal. Certes, les Etats y sont endettés, mais pas plus qu’ailleurs, ce qui démontre qu’il y a un problème spécifique.

 Et ce problème spécifique, c’est justement le fait d’avoir une monnaie unique pour des pays différents. En théorie économique, on dit qu’une monnaie doit correspondre à une Zone Monétaire Optimale selon les théories de Robert Mundell. Il y a trois critères majeurs : l’existence d’un budget commun important, la mobilité des travailleurs et l’homogénéité économique. Ces trois critères existent à l’échelle de la France ou des Etats-Unis ou de tous les autres Etats-nations.

 En revanche, par un seul n’est vérifié à l’échelle de la zone euro. Le budget commun est faible, les travailleurs sont 90% moins mobiles qu’à l’échelle des Etats-Unis selon une étude rapportée par The Economist et il n’y a pas d’homogénéité économique dans un espace aussi divers, que ce soit au niveau des Smic (qui varient de un à cinq) ou des acteurs économiques, qui restent très nationaux. Bref, ce n’est pas pour rien que les monnaies sont nationales en général.

 Pire, comme l’explique Paul Krugman, le fait d’avoir une seule monnaie a tendance à faire diverger les économies au lieu de les faire converger. Paradoxalement, il serait plus simple de rapprocher les économies européennes avec des monnaies distinctes. Comme Jean-Jacques Rosa l’explique, le fait d’avoir une seule monnaie impose une politique unique qui a tendance à renforcer ceux qui vont bien et affaiblir ceux qui vont mal, accentuant les différences au lieu de les résoudre.

 Les cercles vicieux de la monnaie unique

Le fait d’avoir une seule monnaie pour des pays aussi différents pose de nombreux problèmes. De manière triviale, cela revient à imposer une pointure unique (un 40 par exemple) à des personnes qui ont des pointures différentes (de 36 à 45). Dans les années 2000, la politique monétaire de la BCE était à la fois trop restrictive pour l’Allemagne (et freinait une croissance anémique) tout en stimulant excessivement l’économie espagnole, par des taux trop bas là-bas.

 Deuxième cercle vicieux créé par la monnaie unique : une pression à la baisse sur les salaires. En effet, dans l’ancien SME, quand un pays avait plus d’inflation que le voisin, il dévaluait (ce qui est moins brutal qu’une baisse des salaires, comme l’explique Patrick Artus). Aujourd’hui, le seul moyen de retrouver de la compétitivité est de baisser les salaires, comme en Grèce, où le Smic devrait baisser de 22%. Et cela risque de provoquer une course au moins-disant salarial.

 Troisième cercle vicieux : l’impossibilité de rééquilibrer sa balance commerciale. Avant, quand un pays avait un déficit, il dévaluait, ce qui pénalisait les importations et favorisait les exportations. Et quand il était en excédent, sa monnaie s’appréciait. D’ailleurs, les balances commerciales étaient beaucoup plus équilibrées il y a dix ans. Le passage à l’euro rend impossible cet ajustement, ce qui a fait exploser les excédents comme les déficits, autant de bombes à retardement économiques.

 Bref, de nombreuses raisons expliquent pourquoi la monnaie unique ne fonctionne pas, comme le soulignent de nombreux économistes. La question qui suit est de savoir s’il faut aller vers plus d’intégration pour corriger les effets pervers de la monnaie unique ou s’il faut revenir à des monnaies nationales.

 Relance ou austérité, un dilemme trompeur

On a raison de saluer les débuts impeccables de la diplomatie économique hollandaise. Mais si la croissance tend à l'emporter sur l'austérité dans l'esprit des dirigeants mondiaux, son contenu, notamment en Europe et en France, reste à définir. Explications.

 Relance ou austérité ? En un mois, le rapport de forces sur ces deux options s'est trouvé complètement bouleversé. Angela Merkel qui s'était affirmée comme l'incontournable leader de l'Union européenne dès lors que Nicolas Sarkozy suivait sa politique, a semblé quelque peu déstabilisée par la geste hollandaise : non seulement le Français, lorsqu'il était candidat, s'était engagé à ne pas signer le Traité dit Merkozy, posant un acte de rupture inhabituel pour le Parti socialiste, mais en outre, une fois président, il a trouvé de nombreux alliés sur la scène internationale : de l'Espagnol Rajoy à l'Américain Obama jusqu'à l'Anglais Cameron (sur la Syrie, mais un accord pourrait aussi être trouvé sur la régulation bancaire), mine de rien, la diplomatie hollandaise est en train de montrer à l'Allemagne qu'elle n'est pas forcément le passage obligé pour la France. « François Hollande », note Jean-Pierre Chevènement, « semble avoir noué une relation d'empathie avec Obama. Le New York Times titre : L'Allemagne est isolée, et c'est le président français qui défend l'Allemagne. C'est bien joué et réalisé avec élégance. »

 Cette percée diplomatique hollandaise était prévisible. D'ailleurs certains l'ont largement anticipée, y compris dans nos colonnes. D'abord parce que deux ans de politique d'austérité ont donné de forts médiocres résultats. La récession sera de 1,3% en Italie selon les prévisions de Bruxelles; l'Espagne replonge au premier trimestre 2012 avec -0,3%; le taux de chômage, proche de 25% et la faillite de la banque Bankia, que l'Etat doit refinancer à hauteur de 23 milliards vont peser sur les taux d'intérêt de la dette espagnole qui dépasse les 6%; les Pays Bas, autrefois de bons élèves de la rigueur, vont à leur tour connaître une récession de 0,5% en 2012; le Portugal prévoit - 3%; quant à l'Irlande, considérée naguère comme un dragon européen, elle a connu la pire récession de toute l'Europe depuis la guerre : - 11,6% en deux ans ! Et ne parlons pas de la Grèce...
Bref, la potion amère imposée par Angela Merkel n'est pas loin de se retourner contre les pays excédentaires. Après tout, l'Allemagne tire une grande partie de son excédent commercia de ses exportations dans le reste de l'Europe. Pour aider l'Allemagne, il fallait donc dire nein à Angela.  Henri Guaino doit en manger son chapeau...

 Mais si l'idée de relance s'est imposée, notamment de façon assez évidente aux Etats-Unis, les moyens de cette relance tardent à être définis. François Hollande a évoqué la création d'euro-obligations. L'idée a surpris certains économistes, car un bond en avant vers l'Europe fédérale est assez peu imaginable dans les temps impartis par les nécessités de la crise, sauf à piétiner joyeusement les constitutions sur lesquelles se sont appuyés les états européens. Autrement dit, il faut combler des trous tout de suite sans attendre qu'une « police fédérale » puisse garantir la bonne exécution d'un plan de remboursement du prêt consenti. C'est ainsi que la prétention du gouvernement Rajoy à se passer des services de l'Union européenne  présente toutes les apparences d'une fuite en avant qui inquiète énormément les opérateurs des marchés : l'état paierait en obligations d'état espagnoles les actions de la banque, celle-ci les apportant à la BCE.  Bonjour, le coup de bonneteau ! Le blogueur éconoclaste faisait remarquer qu'en 2008, nombre d'économistes louaient la solidité des banques espagnole s...

Il faudrait aussi définir les modalités d'une relance de type keynésien. La relance par la consommation paraît difficile compte tenu du niveau d'endettement maximal des ménages dans les pays du sud et de la nécessité d'augmenter les recettes fiscales. Quant aux salaires du privé, comment les augmenter alors qu'il n'existe toujours aucune digue contre la concurrence déloyale des pays émergents ? Une relance sans protection du redressement industriel - que ça soit sous la forme monétaire ou règlementaire - aboutit à favoriser la croissance ... dans les pays émergents. ce serait généreux pour le tiers-monde, comme on disait avant. Mais diablement inefficace pour les salariés européens.  

 « La relance par l'investissement est plus jouable », note l'économiste Jean-Luc Gréau. « Mais les fonds structurels européens ont déjà généré des autoroutes, des TGV et des aéroports d'Athènes à Lisbonne. Il faudrait donc des plans d'investissements dans les énergies renouvelables. Il faudrait pour cela mobiliser la Banque européenne d'investissements, comme le demande François Hollande. Mais ce type d'investissement n'est pas à la hauteur de la crise de la demande que connaît l'Europe. » Ajoutons que, là encore, l'efficacité recommande de rompre avec le libre-échangisme de l'Union européenne : les industriels français comme allemands, qui ont cru possible d'investir dans le solaire ont été étrillés par leurs concurrents chinois qui n'avaient, eux, aucune norme sociale ou environnementale à respecter.

Enfin, la relance en Europe pourra moins qu'auparavant jouer sur la demande extérieure. Le ralentissement de la croissance dans les pays émergents, et notamment en Chine, où les chiffres officiels le minorent sans doute, montre que l'on ne pourra pas jouer sur les leviers traditionnels des années 1990 et 2000. Rebond de la crise des la dette, blocage européen, ralentissement de la croissance mondiale, après les législatives, la partition de François Hollande va être difficile. Elle appelle un choc de croissance plutôt que des exhortations. Il faut espérer que ses équipes y sont préparées...

 Les «plans de croissance européens» irréalisables ?

L’Europe s’enfonce-t-elle dans une impasse? Faut-il croire aux théories de croissance de François Hollande et aux espoirs de certains dirigeants européens.

 D’une manière ou d’une autre, l’Europe devrait proposer un plan de « croissance » lors de son prochain sommet en juin, si son agenda n’est pas intégralement consacré à un énième sauvetage de l’euro suite aux élections grecques. Mais un examen des propositions amène à relativiser le terme croissance.

 Quand croissance rime avec libéralisation et intégration

Il faut bien constater que les eurocrates n’ont rien appris de la crise. L’examen des plans de croissance démontre un biais très libéral. Bien sûr, la Commission évoque l’augmentation des moyens de la BEI (60 milliards), mais c’est une goutte d’eau pour l’UE. Plutôt que des mesures concrètes, elle propose ainsi la collectivisation des dépenses d’investissement, dont on se demande bien ce que cela pourra apporter à la croissance, si ce n’est celle de ses pouvoirs…

 Du côté de la BCE, Mario Draghi évoque un « pacte de croissance », mais en soulignant qu’il « n’y a pas de croissance soutenable sans comptes publics en ordre. Il ne s’agit donc pas de relancer la croissance en creusant les déficits, mais de faire les réformes structurelles afin d’augmenter la flexibilité ». En clair, pas d’assouplissement budgétaire et toujours plus de libéralisation. Il soutient une « union budgétaire » qui « nécessite un abandon de souveraineté ».

 Berlin a également apporté sa contribution à la réflexion sur la « croissance ». Le programme n’est pas triste. Le plan en six points du gouvernement proposerait la création de zones franches dans les zones en difficulté (financées comment ?), une diminution des charges sociales (bis), une libéralisation du marché du travail, une accélération de la privatisation des entreprises publiques, ainsi qu’un système de formation inspiré de ce qui se fait en Allemagne, selon le Spiegel.

 L’Europe s’enfonce dans une impasse

Il y a fort à parier qu’un petit plan sera adopté, vu que la grande majorité des pays le souhaite, mais les moyens seront limités. Il faudrait dix fois plus pour relancer les économies européennes. Et le fait d’y intégrer des mesures de libéralisation démontre à nouveau le biais libéral de cette Europe. François Hollande pourra brandir un illusoire succès, mais dans les faits, rien ne changera probablement fin juin lors du prochain sommet européen, malgré les annonces.

 Ce qui est intéressant, c’est de constater que pour régler les problèmes posés par trop d’intégration (l’euro), les institutions européennes et les euro béats ne voient bien sûr comme solution qu’une accélération de cette intégration, sans bien expliquer en quoi elle règlerait quoique ce soit aux déséquilibres internes commerciaux de la zone euro. La seule chose qui les intéresse est d’amasser toujours plus de pouvoir à l’échelle européenne, au détriment des États nations.

 Mais il y a un os, et même un gros os. Depuis deux ans, l’Allemagne a compris que l’intégration, cela risque de lui coûter très cher. Du coup, si les Allemands sont d’accord pour une évolution fédérale pour assurer la discipline budgétaire, ils sont vent debout contre le « Transferunion » et pas moins de 79% s’opposent aux euros obligations (14% sont pour). Bref, il y a fort à parier que les rêves d’intégration des euro béats ne restent que des rêves, et heureusement car ils ne résoudraient rien.

 Oui, il y aura sans doute un plan de croissance européen au prochain sommet, mais il sera probablement aussi dérisoire que tous les plans pondus depuis deux ans et qui n’ont absolument rien résolu à la crise de la zone euro, la faisant grandir à force de ne pas vouloir regarder la réalité en face.

 France - Allemagne : un jeu de rôles un peu usé

Et si la partie franco-allemande autour de la crise grecque, telle qu’elle est apparue au dernier sommet européen, n’était qu’un vaste jeu de rôles ? C'est la question que pose notre chroniqueur associé, Roland Hureaux.

La cause semble entendue : l’Europe, accablée par les plans d’austérité, a besoin aujourd’hui de croissance – les méchants sont pour l’austérité, les gentils pour la croissance : l’Allemagne est du mauvais côté, la France du bon,  mais elle a du mal à arracher des concessions à Mme Merkel, chancelière de fer (au dictionnaire des idées reçues, de quel autre métal pourrait être un chancelier allemand ?). L’Allemagne exige de la Grèce des mesures de plus en plus saignantes pour continuer à l’aider ; la France tente de les adoucir.

A ce scénario franco-allemand s’ajoute, depuis deux semaines, un scénario (ou une comédie ?) franco-français : la France serait désormais plus ouverte à la problématique de la croissance, Hollande ferait davantage pression sur l’Allemagne en proposant, en particulier, de réviser le traité européen de stabilité et de mettre en place des euro-obligations, au risque de remettre en cause le partenariat franco-allemand, moteur de l’Europe.

Hélas, pour ceux qui colportent cette vision des choses – soit une grande partie de la presse économique –, tout ou presque y est faux.

 La France et l’Allemagne demeurent d’accord sur l’essentiel

Maintenir l’euro et sauver suffisamment les apparences pour que la Grèce y demeure – la laisser partir, c’est courir le risque que tout l’édifice s’effondre comme un château de cartes. Pour sauver les apparences, il faut que la Grèce, pourtant à bout de souffle, ait l’air de faire toujours plus d’efforts. Paris et Berlin sont d’accord, mais à Paris, sur ce sujet, Sarkozy et Hollande le sont aussi.

Les sacrifices exigés de la Grèce ? Ils ne sont pas le remède au problème grec. Tout le monde sait qu’aucune cure d’austérité, quelle qu’elle soit, assortie ou non d’une défaillance, ne remettra la Grèce dans le train de l’euro. Les déséquilibres croissants entre les pays d’Europe ne résultent pas de la politique budgétaire : ils sont dus aux différentiels des taux d’inflation et à l’évolution des compétitivités. Or, ces différentiels subsistant, les décalages de compétitivité ne cessent de s’aggraver. La déflation, qui serait la seule solution pour les pays du Sud, n’avait pas réussi dans l’Allemagne de 1930, même si les néo-nazis grecs que l’on découvre ces jours-ci semblent eux aussi de comédie, à côté des vrais de 1933. Pas davantage la déflation, engagée par Pierre Laval, n’avait abouti dans la France de 1934. Proposer à l’inverse, comme Paul Krugman, que l’Allemagne fasse plus d’inflation, c’est rêver, connaissant la phobie qu’elle inspire à cette nation. La seule solution est la rupture de l’union monétaire de telle manière que les différentiels de compétitivité soient neutralisés par de nouvelles parités.

Les euro-obligations ne rétabliraient pas non plus les équilibres : des investissements publics dans l’Europe du Sud, financés par un grand emprunt garanti par l’Europe en théorie, par l’Allemagne en pratique, ne seraient qu’un expédient provisoire en termes de flux financiers et une solution de fond aussi lointaine qu’aléatoire. Tout le monde sait aussi que la Grèce, ni sans doute les autres Etats, ne rembourseront jamais leurs dettes, en tous les cas pas toutes.

 Angela Merkel s’adresse d’abord à l’opinion allemande

L’Allemagne, en exigeant de nouveaux plans d’austérité, exprime une position névrotique, deux pulsions contradictoires qui se paralysent. Elle ne veut pas que l’euro éclate, mais elle ne veut pas faire les efforts de solidarité nécessaires pour le sauver (et comment le lui reprocher, puisque cette solidarité serait sans doute le tonneau de Danaïdes ?). C’est cela le message qu’elle envoie en durcissant toujours les conditions des prêts  européens. Ces conditions n’étant ni tenables ni tenues, on aiderait la Grèce sans conditions que cela reviendrait au même. Mais le message de Berlin s’adresse d’abord à l’opinion allemande qui ne veut aider personne, ni courir le risque de l‘inflation : le seul choix cohérent serait dès lors de quitter l’euro. 

Incapable de le faire, Angela Merkel fait de la gesticulation : elle pose des exigences très dures et qui, de toute façon, ne sont pas la solution du problème. Cela pour consentir à des rapiéçages qu’elle ne peut pas refuser car, pour des raisons historiques, l’Allemagne ne veut rien faire qui donnerait le sentiment que c’est elle qui met fin à l’euro. Loin d’être une émule de Bismark, Angela Merkel apparaît aujourd’hui à beaucoup d’Allemands comme une gestionnaire à la petite semaine incapable de faire de vrais choix.

En ayant l’air de vouloir davantage que l’Allemagne «sauver la Grèce» (en fait sauver les banques françaises et allemandes engagées auprès de l’Etat grec) et relancer la croissance, le gouvernement français aussi se valorise face à sa propre opinion. Même si notre pays n’a aucun intérêt au maintien de l’euro, il joue le rôle de la France ouverte et généreuse qui plaît tant à nos compatriotes.

Quant aux divergences supposées entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, au «changement de ton», selon l’expression consacrée pour désigner une nuance dans une position fausse, là aussi on est au théâtre. Tous les deux font la même politique : faire durer l’euro en faisant du rapiéçage au jour le jour ; entrer dans le jeu de l’Allemagne en donnant l’impression qu’elle se fait prier, ce qui l’arrange et qui nous arrange. Entre des pseudo-gaullistes qui déplorent que le nouveau gouvernement ne s’aligne pas davantage sur les exigences de Berlin et des socialistes qui font semblant de croire qu’il ne s’aligne pas, qui est le plus ridicule ?

Hollande serait plus ouvert à la problématique de la croissance ? Mais introduire de la relance publique dans la rigueur est contradictoire : en stricte orthodoxie keynésienne, c’est l’un ou c’est l’autre, pas les deux. Dans la logique actuelle, celle de l’euro, un peu plus de croissance, c’est forcément plus d’endettement et donc moins de rigueur. Vouloir à la fois la rigueur et la croissance, c’est faire comme l’automobiliste qui appuie à la fois sur l’accélérateur et sur le frein.

Hollande serait il plus gentil (pardon, plus «social») parce qu’il propose des euro-obligations et une révision à la marge du traité de stabilité ? Il sait depuis le départ qu’il ne les obtiendra pas, comme Sarkozy le savait aussi. Et à supposer qu’il les obtienne, nous l’avons dit, ça ne changerait rien. Ca ne mange donc pas de pain d’en parler. Mais du pain, les Grecs en mangent de moins en moins...

Grèce : pourquoi Christine Lagarde a tout faux

 Tollé général après les propos tenus par Christine Lagarde sur la Grèce, nous démontrons que les Grecs payent davantage leurs impôts que ce qui est raconté et que c'est l'investissement et les taux d'intérêt sur la dette qui asphyxient le pays.

 Madame Christine Lagarde, ci-devant responsable du FMI et ancienne ministre des Finances de la République française, est décidément fâchée avec les chiffres. Elle a une excuse, elle n’est pas la seule !

En effet, contrairement aux idées reçues, et à ce qu’affirment tant les dirigeants allemands que Mme Christine Lagarde, les impôts représentent une part non négligeable de la richesse intérieure grecque. Il est donc parfaitement faux de dire que les Grecs ne payent pas d’impôts, même si on peut supposer que l’assiette fiscale est injuste et mal répartie et que certains contribuables fraudent de manière conséquente.

 

Importance des prélèvements fiscaux en Grèce

 

 

2007

2008

2009

2010

2011

Part des recettes en % du PIB

40,8%

40,7%

38,2%

39,7%

40,9%

Montant brut des recettes en milliards d’Euros

90,91

94,83

88,60

90,25

88,07

Charge des intérêts en milliards d’Euros

 

11,94

11,92

13,19

15,03

Intérêts en pourcentage du PIB

 

5,1%

5,1%

5,8%

6,99%

Déficit budgétaire en % du PIB

 

-9,8%

-15,6%

-10,3%

-9,1%

Déficit hors charge des intérêts

 

-4,7%

-10,5%

-4,5%

-2,1%


Source : ELSTAT (Hellenical Statistical Authority), Fiscal data for the years 2008-2011 et Fiscal data for the years 2007-2010, Press release, 23 avril 2012 et 17 octobre 2011, Athènes.

 

Si l’on fait exception de l’année 2009 où il y a eu, effectivement, une importante dérive des comptes publics dans l’année électorale, on voit qu'une part majeure, et en 2011 absolument décisive, du déficit budgétaire grec est provoqué par la charge des intérêts de la dette. Plutôt que de chercher à culpabiliser la population grecque, Madame Lagarde ferait mieux de s’attaquer aux effets des intérêts de la dette.
 
D’ailleurs, la contraction rapide du PIB, provoquée par le mémorandum qu’elle défend avec autant d’obstination que de mauvaise fois, joue elle aussi un rôle très néfaste dans l’aggravation de la situation économique de la Grèce. Les politiques d’austérité mises en œuvre depuis le début de 2010 ont en effet provoqué une contraction importante du PIB qui a accru le poids nominal de la dette et par là même le poids des intérêts. Pire encore, ces politiques ont provoqué un effondrement de l’investissement productif, ce qui empêche l’économie grecque de retrouver un dynamisme et une compétitivité mise à mal dans les années précédentes.

 Impact de la crise sur les investissements

 Pourtant, on constate un frémissement du commerce extérieur de la Grèce. La baisse autoritaire des salaires et le compression de la demande ont provoqué un accroissement des exportations et une baisse des importations.
 

Mouvements de la balance commerciale grecque

 

 

2007

2008

2009

2010

2011

Exports en % du PIB

26,8%

27,5%

21,5%

24,4%

27,3%

Imports en % du PIB

42,2%

43,8%

34,2%

34,4%

35,7%

Balance commerciale en % du PIB

-15,4%

-16,4%

-12,7%

-10,1%

-8,5%

 

Ceci montre que l’élasticité des exportations aux coûts internes est très forte contrairement à ce qui est affirmé tant hors de Grèce (par Patrick Artus de Natixis par exemple) que parfois même en Grèce. En cas d’une sortie de l’Euro, une importante dévaluation serait très probablement en mesure de rétablir l’équilibre de la balance commerciale. Cette dévaluation  pourrait faire baisser les importations de 4% à 5% (en partie par une substitution des produits locaux aux produits importés) tandis que les exportations pourraient continuer de progresser de 4% à 5%.
 
On voit bien alors que la situation de la Grèce est loin d’être sans issue. Au sein de l’Euro, si la Troïka (et le FMI) acceptait de sacrifier les intérêts de la dette pendant une période de 5 années et se mettait d’accord sur un plan d’investissement à hauteur de 15 milliards d’euros par an, il est parfaitement concevable que la Grèce puisse récupérer de son déficit de compétitivité. Hors de l’Euro, si la Grèce se décide à répudier sa dette, et décide de financer son déficit résiduel (2% du PIB) par des avances de la Banque Centrale, elle ne devrait pas connaître de mouvements inflationnistes excessifs, et la dévaluation de la Drachme est à même de reconstituer la compétitivité externe du pays.
 
Il convient donc de soutenir ceux qui en Grèce exigent une renégociation du Mémorandum visant à la fois un allègement des charges d’intérêts et des investissements dans l’économie grecque comme préalable à tout nouvel effort. Mais il convient aussi de garder en mémoire qu’une politique de rupture, une répudiation de la dette et une dévaluation de 50%, est parfaitement possible pour la Grèce si les négociations devaient échouer.

 

Grèce: un scénario prévisible?

Quelques économistes en sont persuadés, la Grèce est désormais au bord de la sortie de l'euro nous pensons même que tout le mal est là: le pays doit se défaire de la monnaie unique. Un scénario «prévisible.

Tout était écrit il y a deux ans

C’est fin 2009 que j’ai écrit mon premier papier sur la sortie de la Grèce de l’euro : « la seule solution serait une dévaluation, qui permettrait de rendre le pays plus compétitif et de dynamiser les exportations, mais le corset qu’est la monnaie unique ne rend pas possible cette solution. La seule voie possible serait de pratiquer une déflation compétitive (…) mais une telle politique serait extrêmement brutale et aurait sans doute des conséquences sociales violentes ».

 Le 15 avril 2010, dans un papier intitulé « Grèce, le choix de l’euro-camisole  », je soulignais que le plan européen de l’époque était « la mauvaise solution », que  « les trois prochaines années vont voir un ajustement brutal qui se traduira par des coupes budgétaires, une poursuite de la récession et un chômage de masse. Le prix à payer pour rester dans l’euro sera colossal. Pire, il est probable que la Grèce n’aura rien résolu car son problème (sont) ses prix à la production ».

 Le 4 mai 2010, dans un papier intitulé « Le plan imbécile qui va étouffer la Grèce  », j’affirmais que ce plan « ne fait que repousser les problèmes à plus tard en les aggravant ». C’était ce que Nicolas Dupont-Aignan avait défendu à l’Assemblée Nationale en disant de manière prophétique que l’argent prêté ne serait pas recouvré, contrairement aux dires du gouvernement. Jacques Sapir, déjà dans Marianne 2, démontait de manière précise les affirmations de nos adversaires.

 Un scénario prévisible

Dès février 2010, je pronostiquais que « la Grèce (allait) suivre l’agenda du FMI, de la Commission et de la BCE. L’histoire du pays fait qu’il acceptera l’épreuve dans un premier temps, ce qui sauvera l’euro pour quelques temps ». En mars 2010, j’annonçais que « le supplice de l’euro pourrait durer  ». En janvier 2011, un débat faisait rage sur la possible disparition de l’euro d’ici la fin de l’année. J’avais alors fait un pronostic différent en écrivant que « la fin de l’euro pourrait tarder  ».

 Je soutenais que « malheureusement, la messe n’est pas dite. Les fédéralistes veulent sauver l’euro coûte que coûte, que qu’en soit le prix à payer par les peuples. Ils savent bien qu’une fin de l’euro hypothèquerait pour plusieurs décennies le modèle d’une Europe supranationale qu’ils construisent depuis 25 ans. Et les pays de la périphérie de l’Europe sont sans doute retenus par le fait que l’Europe leur a apporté beaucoup de subsides et qu’ils ne veulent pas paraître ingrats ».

 Nous sommes malheureusement nombreux à avoir vu juste sur la Grèce. Il est malheureux que le débat reste aussi fermé aujourd’hui et que ceux qui prédisaient les pires catastrophes à la Grèce si elle sortait de l’euro (défaut et baisse du pouvoir d’achat) n’aient pas reconnu que ces catastrophes ont été la condition du maintien dans l’euro. Mais surtout, pendant que nous débattons, un peuple souffre. Cependant, ce peuple se réveille, comme le montre les législatives du 6 mai.

 L’épisode grec pourrait bien se terminer rapidement car les prochaines législatives ont toutes les chances de donner une majorité à Syriza, qui serait largement en tête dans les sondages. Dans un an, la Grèce pourrait bien démontrer l’intérêt de sortir de sa camisole monétaire…

21:09 Écrit par OUTALHA dans Economie, FINANCE | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | | |  Imprimer | |

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