17/01/2012
LES DEFIS QUI ATTENDENT Mustapha RAMID
L’avocat islamiste irréductible, aujourd’hui ministre de la Justice, est face au problème d’un millier de détenus salafistes.
Telle est donc la vie politique, avec ses ruses, ses surprises et ses rebondissements. Avec la nomination de Mustapha Ramid à la tête du département de la Justice, que de chemin parcouru par ce bouillant avocat islamiste qui, à lui tout seul, est le condensé même des spécificités de ce qu’il est convenu d’appeler “l’exception marocaine”... Il succède à qui pour commencer? A un autre avocat, Mohamed Naciri, défenseur attitré de l’Etat marocain depuis près de trois décennies mais aussi du holding Siger, de la famille royale, jusqu’à sa nomination en janvier 2010.
Un contraste entre deux parcours, l’un plutôt “border line” et l’autre à l’ombre -ou à proximité- du Méchouar. Jusqu’à la veille de sa nomination dans le nouveau gouvernement, le 3 janvier 2011, rien n’était acquis pour Mustapha Ramid. Tout au long des semaines écoulées avant cette officialisation, sa cotation ministérielle, si l’on ose dire, avait été passablement erratique: telle le CAC 40 parisien, elle enregistrait de fortes variations au gré des conjectures des traders et observateurs politiques de la place. Pour les uns, sa candidature, pour légitime qu’elle fût, ne pouvait qu’être rejetée au final, lors de l’ultime validation royale.
Pour d’autres, qui ne niaient pas la perception qui pouvait être faite de la “charge” du dossier de l’impétrant, il était difficile de le récuser sauf à compliquer, voire à compromettre, la faisabilité même du nouveau gouvernement islamiste de Abdelilah Benkirane. Dirigeant influent S’en expliquant, à la veille de cette nomination, Abdelaziz Rebbah, membre de la direction du PJD, par ailleurs ministre de l’Equipement et du Transport, a tenu à préciser qu’il n’a jamais été question d’opposition à la candidature de Mustapha Ramid. Ce qui est une manière de concéder qu’il y avait là matière à interrogation.
Et d’ajouter qu’il y avait uniquement des précisions et des clarifications à apporter, faisant référence au fait «qu’il y a tout un rapport qui doit être fait à propos de chaque candidature». Mustapha Ramid pouvait-il être exclu de ce nouveau cabinet? Pour commencer, il faut préciser que le Abdelilah Benkirane ne pouvait pas ne pas le mettre sur sa liste de “ministrables”. Dirigeant influent et remuant au sein de la formation islamiste, Me Ramid a été sélectionné en tête par les membres de la commission ad hoc chargée de trier et d’investir les candidats. Comme le principe démocratique a fonctionné à plein, Abdelilah Benkirane, qui a fait de cette méthodologie un crédo, pouvait difficilement l’écarter de la liste de ses propositions.
Une telle procédure présentait un autre avantage: celui de soumettre pratiquement au Roi une “liste bloquée” pouvant difficilement être remaniée puisqu’elle émanait démocratiquement d’un vote à bulletins secrets des membres des instances du PJD. Des gages de “discipline” C’est pourquoi le Chef du gouvernement, sans doute au parfum des réserves existant à l’endroit de l’un de ses ministrables, a mené un lobbying empressé pour donner des gages de “discipline” et de “bonne conduite” de son futur ministre à la tête d’un département désormais baptisé “ministère de la Justice et des Libertés”.
Quels sont donc les termes de la nouvelle équation posée par la nomination de Mustapha Ramid? Qu’il assume la plénitude de ses attributions, personne n’y trouve à redire. Mais qu’il instrumentalise l’appareil judiciaire dont il a la charge pour en faire une “machine de guerre”, voilà qui n’est pas jugé comme étant recevable ni acceptable. Sur son bureau, quels dossiers va trouver Mustapha Ramid? L’un de ses premiers rendez-vous ne manque guère de sens. Il a en effet reçu, le mardi 10 janvier, six représentants des familles des détenus salafistes. Il leur a fait part de sa volonté de prendre en mains en priorité ce dossier. Mais cette situation ne manque pas de singularité, puisqu’il est l’avocat des mêmes détenus! Tout comme Abdelilah Benkirane, lors de sa deuxième conférence de presse, le mois dernier, à propos de la détention du journaliste Rachid Niny, Mustapha Ramid a évoqué la possibilité d’une demande de grâce royale et ce, à l’initiative du nouveau cabinet.
Dossiers dormants Certains n’ont pas manqué de voir dans cette proposition une manœuvre politique –voire “politicienne”- présentant à bon compte la nouvelle équipe islamiste comme défenseur des mesures de clémence et de libertés alors qu’en creux, le Souverain, lui, ferait peu ou prou de la “résistance” répressive. Disposant d’une majorité confortable au sein de la Chambre des Représentants, le gouvernement Benkirane a en mains une autre procédure pour décider de mesures d’élargissement en faveur de détenus: celle de la loi d’amnistie, soit qu’il en prenne l’initiative sous la forme d’un projet de loi , soit qu’il la suscite par le biais d’une proposition de loi déposée par l’un de ses parlementaires, il faut préciser que cette matière de l’amnistie fait partie des attributions du domaine de la loi telles que définies par le nouvel article 71. En instance aussi devant le ministre de la Justice, les dossiers -plutôt dormants pour un certain nombre d’entre eux- de détournements de deniers publics relatifs à diverses institutions étatiques ou autres. Davantage de célérité sera-t-elle mise en œuvre dans les procédures engagées jusqu’à présent? Si tout le monde attache du prix à ce que l’administration de la Justice se fasse, encore faut-il que ce soit dans des conditions frappées du sceau des exigences de procès équitables. Il n’y a pas que la vertu du côté du PJD et du vice rédhibitoire ailleurs; il y a en commun une légitime attente de justice dans la société et tout un chacun est en droit d’attendre une normalisation et une moralisation participant de l’Etat de droit et du bloc des libertés consacrés par la Constitution.
Ce qui est à craindre, n’est-ce pas une sorte de “chasse aux sorcières” montant en épingle des dossiers et des affaires pour permettre au PJD de se parer d’une légitimité politique de vertu et d’éthique mettant en avant le paravent des principes islamiques? Le parti islamiste a fait de la lutte contre la corruption l’une des priorités de son programme et il compte bien avec ses trois autres alliés (PI, MP, PPS) ne pas la borner à des effets d’annonce ou la réduire à la traque de lampistes. La condition pénitentiaire Mais jusqu’où pourra-t-il aller vraiment? Avocat depuis vingt-cinq ans, Mustapha Ramid est au fait des insuffisances du système judiciaire, tel qu’il est et qu’il fonctionne.
Que pourra-t-il y apporter comme correctifs et comme réformes pour que la justice soit crédible, équitable et prévisible? Ses deux prédécesseurs, Abdelouahed Radi et Mohamed Naciri, ont engagé un processus de mise à niveau et de modernisation, mais il reste encore tant à faire! Remodelage des programmes de formation, restructuration des juridictions et de leur administration interne, répression des faits de corruption, amélioration de l’administration judiciaire, revalorisation salariale du personnel, facilitation de l’accès à la justice, applicabilité de la charte des investissements; tels sont, entre autres, les secteurs éligibles à une nouvelle politique devant être à l’ordre du jour.
Sans oublier la condition pénitentiaire, qui doit préserver la dignité des personnes. Sur ce dernier point, Mustapha Ramid a indiqué qu’il allait s’en préoccuper tout en faisant remarquer qu’elle ne relevait plus de son département puisqu’elle a été confiée à une délégation générale autonome dirigée par Hafid Benhachem. Compte-t-il remettre à plat cette situation s’apparentant à ses yeux à un démembrement de son département? Un éventuel réaménagement institutionnel conduisant à la réintégration de celle-ci au ministère de la Justice est-il faisable et possible? Un test de sa latitude d’action en perspective…
Par ailleurs, Mustapha Ramid pourra-t-il imprimer sa marque à une politique pénale prenant en charge le socle des droits et libertés consacrés par une vingtaine d’articles contenus dans le titre II de la Constitution du 29 juillet 2011? Il sait mieux que personne que le régime de la détention préventive est appliqué au Maroc avec une extension intolérable et qu’il s’apparente souvent à une pré condamnation avant jugement.
Il convient donc de revenir à l’esprit bien compris des acquis de la nouvelle Constitution répondant aux aspirations des justiciables et de l’ensemble des citoyens. Latitude d’action Enfin, Mustapha Ramid prend ses fonctions cinq mois après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, laquelle garantit l’indépendance du pouvoir judiciaire (art. 107), consacre l’inamovibilité des magistrats du siège (art. 108) qui ne sont astreints qu’à la seule application de la loi (art. 110, al. I) et proscrit «toute intervention dans les affaires soumises à la justice» (art. 109).
Il doit s’atteler à observer de manière sourcilleuse ces principes tout en exerçant les attributions hiérarchiques qui lui sont confiées sur les magistrats du parquet (art. 110, al. 102). Bref, il doit emprunter les habits d’un ministre, autorité réglementaire d’une institution constitutionnelle comme le gouvernement et tourner le dos à une posture voire à une stratégie de “rupture” dont il a fait son label comme avocat et comme l’un des dirigeants du PJD. Son tempérament personnel et ses convictions politiques, dont personne ne conteste l’authenticité, pourront-ils être maîtrisés dans l’exercice de ses fonctions à la tête d’un ministère tous risques, le plus fortement exposé sans doute dans cette conjoncture particulière?
14:16 Écrit par OUTALHA dans MAROC | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |
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Commentaires
Bonjour, Prière de mentionner que c'est une photo prise par Anas El Akrami , publiée en 2009 sur Akhbar Al Yawm et Assabah et Al Massae prière de me contacter si vous voulez en etre sure sur 0661501317
Bonne journée
Écrit par : Anas El Akrami | 10/08/2013
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