14/12/2011
CASABLANCA, UNE CITE EN FAILLITE
Y a-t-il un pilote aux commandes de cet immense aéronef casablancais qui semble voguer au gré des vents et de toutes sortes d’atavisme administratif? Oui, il y a bien un maire, qui plus est, formellement élu. Président de la Communauté urbaine du poumon économique du Maroc. Il en est le maître à bord, avec l’aide d’un bureau laborieusement rafistolé pour être conforme aux canons de la démocratie locale.
Comment gère-t-il une agglomération de pas loin de sept millions d’âmes? Comment, du haut de son piédestal d’édilité suprême personnifie-t-il sa mission? Quelle image donne-t-il de cette ville à nulle autre pareille dans le paysage urbain du Royaume? Quelle image de lui-même reflète-t-il auprès de ses administrés, supposés être ses propres électeurs?
Le connaissent-ils, ne serait-ce que par un minimum de présence médiatique, non pas pour le plaisir de se montrer, mais pour démontrer qu’il est à leur service à plein temps? Bref, se reconnaissent-ils en lui, particulièrement dans les situations et les moments où ils ont le besoin impérieux d’un représentant en chef de la cité qui soit en phase avec leurs urgences et leurs attentes?
Grande confusion
Sur toutes ces questions de fond, M. le Maire avait à répondre devant la session extraordinaire du Conseil communal, le vendredi 24 décembre 2010, après avoir donné une conférence de presse la veille, au siège de la Wilaya.
Cette séance qui porte bien son nom devait évaluer les dégâts causés par les averses du lundi 29 novembre 2010. Les Casablancais, tous standings de quartiers confondus, ne s’en sont pas encore remis. Même si, géographiquement, la ville n’est pas située en dessous du niveau de la mer, elle était, néanmoins, sous les eaux. En l’espace de 24 heures, les conduites, engorgées, recrachaient leur supplément de flots sur la chaussée et dans les habitations. Les membres du Conseil communal ont exigé, pour cette session et pour explication, la présence du directeur général de la Lydec. On les comprend. Peu importe que les représentants communaux islamistes du PJD soient à l’origine de cette convocation. Il n’y a pas lieu d’en faire une opération de politique partisane. Les faits sont là.
Le cahier de charges de la Lydec n’a pas seulement révélé ses manquements aux engagements pris, il a été littéralement emporté par les eaux. Inondations et coupures de courant en périphérie et en plein centre-ville, pendant quatre jours après seulement 24 heures de pluie, M. Sajid et la Lydec, concessionnaire de l’acheminement de l’eau potable, de l’assainissement et de la distribution d’électricité, devaient en rendre compte. Chose étonnante, le budget de la collecte des déchets solides est passé de 300 à 390 millions de dirhams, alors que les sociétés délégataires n’ont assurément pas été à la hauteur de leur charge.
Certes, lors de la session ordinaire du vendredi 29 octobre 2010, le budget global a fini par être voté à main levée et dans la plus grande confusion. Mais des postes de dépenses, des procédures de passation de marchés et des déficiences de suivi sont restés au travers de la gorge de bon nombre de conseillers communaux. Lesquels ne se sont pas fait prier pour les clamer haut et fort. On a même été jusqu’à dénoncer des pratiques douteuses et des méthodes de gestion qui ne manquent pas seulement de rigueur, mais aussi et surtout de transparence.
Jungle de passe-droits
Les dernières intempéries n’ont été que la dernière goutte de pluie qui a fait déborder le vase d’une gestion pour le moins sous-développée, avec toutes les dérives criantes qui vont avec, de la capitale économique du pays. Il ne faut donc pas que ce soit l’arbre qui cache cette jungle de passe-droits, de copinage et d’amateurisme intéressé. Casablanca est une ville sale. Feu Hassan II l’avait déjà solennellement déclaré. Elle l’est toujours. Les promoteurs nationaux de l’investissement étranger ont toutes les raisons de la faire éviter à leur invités, comme s’ils voulaient leur en faire grâce; comme s’ils leur disaient “circulez, ici, il n’y a rien à voir.”
On a coutume de dire que Casablanca est ceinturée par un océan de bidonvilles. C’est toujours vrai. Mais pas seulement. L’habitat insalubre est à l’intérieur même de la ville, parfois au détour de quartiers résidentiels de haut standing qui n’ont rien à envier aux villas somptueuses de Beverly Hill, sur les hauteurs de Los Angeles. Un voisinage de misère et de luxe, dont “le Maroc de contact et de contraste” a le secret, comme le définissaient les enseignants coopérants français à leurs jeunes apprenants marocains du bled. Casablanca est la configuration monstrueusement réduite de ce panorama national désolant.
Casablanca le monstre suburbain au développement exponentiel et anarchique. C’est de cet ogre où l’urbanistique et le rural s’entremêlent pratiquement à tout coin de rue que la Communauté de la ville est en charge. Un vrai défi, certes. Le Maire est en première ligne. A-t-il fait évoluer ce paysage défigurant et déshonorant pour l’image qu’on veut bien donner d’un Maroc en mouvement vers le meilleur? A-t-il au moins contribué, concrètement, au dépassement de cette situation? A-t-il été ce maire qui s’investit dans sa fonction entièrement et à bras le corps, face au peuple électeur de sa ville ?
Absence incompréhensible
Il ne s’agit pas de lui faire un procès inquisitoire, en lui faisant endosser un passif et un surmultiplié cumulatif. Il n’en reste pas moins le “Monsieur Casablanca”, vers lequel toutes les interrogations convergent, brille par une discrétion, sinon une absence incompréhensible, au plan médiatique. Un peu comme s’il craignait de s’adresser à ses ouailles administrées. Un retrait qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations, les supputations et les projections les plus entendues, parfois les plus accusatoires.
On en vient à se demander s’il n’est pas sous forte influence d’un lobby de prédateurs immobiliers aussi réel que transcendant. Pire, étant lui-même dans l’immobilier, pourquoi l’interrogation, recevable ou pas, c’est selon, ne vaudrait-elle pas pour lui aussi. Si c’était le cas, ce serait un mélange des genres déconcertant pour le commun des électeurs. Ceux-ci seraient alors en droit de se demander s’ils ont voté pour un promoteur immobilier, entre autres activités industrielles, commerciales ou tout autres lucratives, dans le même espace urbain, ou pour un maire qui met en veilleuse ses propres intérêts, pour ne défendre que les leurs; du moins, en priorité.
Alliances rocambolesques
Ce clair-obscur de son statut met M. Le Maire dans une posture peu lisible; en tout cas, peu confortable. Son Conseil communal le lui rend très bien. Car voilà un président qui ne tient sur son fauteuil que par une majorité improbable, constamment tricotée et détricotée. On se rappelle les péripéties de sa première investiture, le 23 septembre 2003. Une nuit blanche et des retournements d’alliances rocambolesques au profit d’un candidat UC esseulé.
Les consignes pour sa proclamation seraient venues “d’en haut”. L’écho de ces mêmes consignes aurait perduré pour que ce député de Taroudant soit réélu maire de Casablanca, le 22 juin 2009. Il était normal que le fil conducteur entre un président à l’évidence venu d’ailleurs et les instances de sa mairie arrangée, passent mal. Effectivement, régulièrement, les trois-quarts du temps des séances ordinaires s’épuisent dans la validation ou l’invalidation de l’ordre du jour.
On crie à tue-tête, on tape de toutes ses forces sur les pupitres, on hurle de toutes ses cordes vocales, l’assemblée n’est plus qu’un souk à une heure de pointe. Ce genre de manifestations répétitives ne se passe pas dans une commune rurale d’un coin perdu du Maroc exotique, mais dans la grande salle de la Wilaya de Casablanca. S’il y avait un modèle de gestion communale, à tout point de vue, à exhiber, ce ne serait certainement pas celui-là.
Le : 12 Janvier 2011
18:11 Écrit par OUTALHA dans MAROC | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
|
Imprimer | |
Les commentaires sont fermés.